
Dans cette 1ère partie d’une série de trois, consacrés aux économies d’eau, nous montrons en quoi la (fausse) promesse des NTG est peu cohérente avec une gestion de l’eau territoriale et soutenable. Analyse des politiques publiques pour le projet « Rural Resilience », par Marie-Lise Breure-Montagne.
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La Commission européenne a publié le 5 juillet 2023 une proposition d’évolution de la réglementation européenne sur les NTG (Nouvelles Techniques Génomiques ou New Genomic Techniques). Au terme d’une procédure réglementaire enclenchée en 2019, un texte a été débattu le 24 janvier 2024 au Parlement européen, et approuvé, avant de nouveaux débats à partir du 6 février 2024.
« L’Union européenne est à la croisée des chemins biotechnologiques. Saura-t-elle résister aux sirènes collapsologiques de la mouvance des activistes de l’écologie politique et des députés européens Les Verts/ALE ? » (source).
Aussi, le 19 janvier 2024, plus de 35 lauréats du prix Nobel (dont la française E. CHARPENTIER, récompensée par le Nobel de chimie pour les ‘ciseaux moléculaires’ Crispr/ Cas9) et plus de 1000 scientifiques ont signé un appel adressé aux parlementaires européens. La dramatisation porte sur le besoin de « rejeter les ténèbres de l’alarmisme antiscientifique et se tourner vers la lumière de la prospérité et du progrès » et « de prendre en considération l’ensemble de preuves scientifiques solides qui soutiennent les NGT », et aussi « de prendre vos décisions [de parlementaires] dans l’intérêt de l’Union européenne et de ses citoyens ». Pas un mot sur le TOP 5 des semenciers, secteur très mondialisé qui accueille les Allemands BAYER et BASF, ainsi que le français LIMAGRAIN – VILMORIN.
L’approche, désormais classique, reste de tirer sur les messagers « écologistes », sans prendre la bonne mesure du message d’alerte.
Nous ne débattrons pas sur le fait que « les preuves scientifiques solides qui soutiennent les NGT » sont fondées sur des connaissances encore lacunaires sur les génomes de plantes cultivées (figure 1), ce qui limite en soi l’enthousiasme et la croyance en un avenir radieux : en fait, nous peinons à comprendre en quelques décennies ce que mère nature a conçu en plus d’un milliard d’années (dont toute la partie non codante, l’essentiel du génome). Ce tunnel risque d’être long avant d’apercevoir la « lumière de prospérité ». Mais nous prendrons néanmoins en compte « l’ensemble des preuves scientifiques solides », celles-ci comprenant aussi les apports de scientifiques en bottes de caoutchouc, tels que les concepteurs d’essais culturaux de plein champ (1ère partie de l’analyse) puis ceux des hydrologues (2ème partie de l’analyse). Ceux-ci, contrairement aux scientifiques en recherche fondamentale, ne peuvent ignorer les assauts du changement climatique déjà présents un peu partout en Europe, qui comprennent notamment la raréfaction de l’eau. Parce que les plantes cultivées ont une teneur en eau variant de 80 à 95% de leur poids total, ce facteur de production est fondamental dans l’amélioration variétale.
Le changement climatique est en marche : les techniques génomiques, aussi « nouvelles » soient-elles, ne feront pas le poids.

NTG (Nouvelles Techniques Génomiques) : une innovation technologique pour les « blockbusters » de l’agriculture conventionnelle (blé / maïs)
Une seule certitude : nous nous rappellerons tous du moment où nous avons compris que les assauts du changement climatique sur l’agriculture, c’était l’un des gros sujets du présent siècle. Pour moi, ce fut notamment au cours d’une conférence de Philippe GATE, Dr Scientifique ARVALIS (Institut technique des céréales, acteur clé de la sélection variétale en France) – en novembre 2011. Le phénomène est alors en marche depuis plus de 15 ans : « Depuis 1995 : on observait un plafonnement des rendements [des céréales] pour la France… en dépit d’un progrès génétique constant depuis 1982 et d’une très faible dés intensification des pratiques agricoles. Deux facteurs s’avèrent particulièrement délétères pour les rendements : Sécheresse pendant la montaison (en fonction des variétés et de leur précocité, en fin d’hiver ou au début du printemps) ; Forte température pendant le remplissage des grains (nombre de jours supérieurs à 25 °) ». (voir figure 2 : la suite de la décennie 2010 – 2020 confirme le plafonnement des rendements du blé tendre d’hiver).

D’autres facteurs furent cités dans l’exposé : l’augmentation de la température pendant la nuit accentue la respiration nocturne de la plante (énergie « détournée » du rendement final) ; les orages plus violents augmentent le phénomène de verse, à l’origine d’autres pertes de rendements ; et pour finir, l’efficacité de l’azote (= 75% des Gaz à Effet de Serre pour le blé…) diminue avec le stress hydrique (la sécheresse). Enfin, la couverture nuageuse pendant l’été (bien observée dès 2008 dans la partie Nord de la France), phénomène inédit et marqueur du changement climatique, induit un rayonnement trop faible donc une photosynthèse moindre. Et de conclure qu’«au niveau international (toutes zones confondues) : blé et maïs sont les cultures les plus vulnérables à l’évolution du changement climatique ». Rappelons ici que le maïs est la 1ère céréale cultivée au niveau mondial (une des têtes de liste en matière de besoin en eau, quel que soit le contexte pédoclimatique – voir photo ci-dessous) ; le blé : la 1ère céréale cultivée au niveau européen (blé + maïs : ¾ de la production européenne de céréales ; France et Allemagne sont les deux grands producteurs, tant que l’Ukraine ne fait pas partie de l’UE).
Corollaire pour la Recherche appliquée (conduite par ARVALIS, institut technique des céréales) : élaborer des stratégies dites d’esquive (dates de semis : trouver une fenêtre de semis plus optimale, et remplacer en grande partie les semis de printemps par des semis d’automne). L’autre axe est l’amélioration génétique (tolérance aux stress hydrique & thermique, axe le plus prioritaire) mais « [ce 2ème axe de recherche] est difficile car les variétés tolérantes au stress hydrique sont complètement différentes des variétés résistantes au stress thermique ». Rétrospectivement, on comprend mieux l’engouement que suscitent les ciseaux moléculaires et autres NTG, car face aux « chausse trappes » du changement climatique, les verrous scientifiques et techniques, bien caractérisés depuis plus d’une décennie, étaient de taille, et obligeaient à chercher des solutions dans des directions opposées.
En 2015, ce scientifique précisait : « A l’échelle de la France mais aussi pour de nombreux pays, c’est le risque de température excessive au cours du remplissage des grains qui affectera le rendement du blé [50% de la production de céréales en Europe], plus que les autres paramètres climatiques ».
Et ce scientifique reconnaissait avec franchise : « Cette conclusion questionne à nouveau le monde de la recherche : connaît-on les mécanismes physiologiques à l’origine de l’échaudage thermique ? Existe-t-il une variabilité génétique exploitable ? Comment phénotyper spécifiquement un tel trait ? Les grands programmes nationaux ou mondiaux n’ont intégré que tardivement cette dimension parmi leurs priorités » (Ph. GATE, 2015). N’importe quel agronome comprend que beaucoup de recherche fondamentale en génomique des plantes reste à réaliser avant d’entrevoir des pistes de solution, sans aucune certitude sur leurs résultats. D’où aussi le lobbying efficace sur le développement de l’irrigation, et plus que jamais vigoureux en plein mouvement de protestation des agriculteurs : si l’échaudage (stress thermique) reste hors de contrôle, alors l’irrigation peut encore nous sauver des effets du stress hydrique sur les plantes de ‘grandes cultures’ et surtout faire perdurer le « business as usual ».
Le prestigieux conférencier concluait : « Comme les marges de manœuvre habituelles sont réduites (augmenter les intrants comme l’azote ne sert plus à rien / l’amélioration variétale est sous contraintes), « la priorité est de stocker l’eau » (depuis, l’institut propose par exemple une Méthode de pilotage de l’irrigation | ARVALIS). En 2015, ce scientifique précisait le constat en parlant de « réduction des volumes d’irrigation avec des calendriers plus incertains ». Une publication dans Nature en ce début d’année 2024 ne vient que confirmer sa prédiction : tendanciellement, à l’échelle mondiale, moins d’eau disponible en nappes souterraines, dernier rempart contre l’aridification des territoires.
Bref, cette prise de parole d’un scientifique spécialiste de l’amélioration variétale des céréales montrait une réduction inéluctable (et déjà constatée) des marges de manœuvre dans les choix culturaux, donc des revenus agricoles, si l’on continuait à raisonner la production agricole à géométrie constante (en clair du blé et du maïs ; comme on le sait, destinée pour partie à l’élevage industriel et intensif).

Les NTG (Nouvelles Techniques Génomiques) : du « technopush » bien dérisoire à l’aune des enjeux climatiques
La principale ‘promesse utilisateur’ des NGT est juste d’aller plus vite, mais pas forcément de résoudre tous ces nouveaux problèmes agronomiques imbriqués les uns et autres (décrits et résumés ci-dessus) : « Les défenseurs des nouvelles techniques du génome, dont les NGT, promettent une adaptation plus rapide des variétés face au changement climatique ». Et que veut dire « plus rapide » quand on est déjà tellement en retard sur l’adaptation au changement climatique !
Les meilleurs spécialistes de la génomique des plantes incitent depuis déjà près d’une décennie à regarder aussi au-delà de la pointe des ciseaux moléculaires, vers l’ensemble des territoires agricoles et ruraux :
« Ces réglages [dans le choix des variétés] doivent à moyen terme franchir l’échelle de la parcelle et de l’exploitation vers une dimension plus territoriale : des objectifs majeurs comme la gestion de l’eau, la durabilité des résistances [malgré l’emploi de pesticides], la biodiversité fonctionnelle et une meilleure résilience face aux aléas climatiques nécessiteront effectivement un paramétrage et un schéma d’organisation à ce niveau d’échelle spatiale » (Ph. GATE, 2015). En clair, les innovations technologiques ne vont pas tout résoudre ; les adaptations organisationnelles à l’échelle des territoires pertinents pour la gestion de l’eau seront aussi les bienvenues, d’autant qu’il convient de vérifier à la bonne échelle, que l’eau n’est pas dangereusement surexploitée.
Pour cette gestion quantitative de l’eau à l’échelle territoriale, la première étape consiste, par priorité, à faire le choix du panier d’espèces. En évitant autant que possible les plantes gloutonnes en eau.

– GREEN DEAL (UE) : -55% de GES en 2030 / 2050 : neutralité carbone ; GES divisé par 6 ; -46% pour l’agriculture -FARM TO FORK (UE) : -50% de pesticides en 2030 -Au niveau national (FR) : PNACC (Pan national d’adaptation au changement climatique) et SNBC (stratégie Bas Carbone) : doubler la quantité de biomasse énergie. Source : Université AFTERRES 2050, organisée par l’association SOLAGRO les 21 & 22 novembre 2023 à Toulouse
Le scénario AFTERRES 2050, mis au point par SOLAGRO dès 2011 (et réactualisé au cours de la décennie), combine plusieurs dimensions (dont ces questions du modèle de production, du panier d’espèces et celles de l’eau), en ayant comme boussole les principaux textes européens (Green Deal & sa déclinaison : stratégie Farm to Fork, Directive cadre sur l’eau, Stratégies Biodiversité, etc…) (figure 3). L’un des principes clés de ce travail : raisonner avec des technologies éprouvées, sur lesquelles on peut compter (comme le fait son partenaire NEGAWATT pour les scénarios de transition énergétique : pas de fuites en avant technocentrées, qui se transformeraient en fausses solutions). L’un des enseignements, à diverses échelles territoriales (Ferme France, Région Bretagne, plus petits bassins de production agricole) est de montrer qu’une trajectoire ambitieuse pour l’agriculture, est réalisable, sans jeter le « green deal » ni la « stratégie farm to fork » aux oubliettes (démonstration utile dans ce contexte de forte contestation agricole en Europe). Comme on le suppose depuis longtemps : cela passera par une réduction de l’élevage (tout en gérant une dés-intensification, s’appuyant sur des prairies permanentes et autres systèmes herbagers) et une augmentation des surfaces en bio (avec les rotations plus longues, comportant des légumineuses pour fixer l’azote). La dépendance aux intrants importés (pesticides, azote minéral et tourteaux) sera donc enfin maitrisée et il sera alors possible de parler d’une véritable souveraineté alimentaire (notion que le 1er ministre français veut inscrire dans la loi, suite aux manifestations d’agriculteurs, alors qu’elle y est déjà !).
Enfin et surtout, le scénario AFTERRES 2050 montre qu’il est possible, en changeant plus radicalement de modèle, de réduire jusqu’à 50% le volume prélevé pour l’irrigation estivale.
Conclusion intermédiaire
Sur le plan réglementaire européen, la situation des NTG est à nouveau gelée : dans un communiqué du 8 février 2024, l’ECVC se félicite du blocage de la déréglementation des OGM-NTG par le Conseil de l’UE, et condamne « l’approbation précipitée d’une proposition incohérente et inapplicable par le Parlement européen », par une faible majorité. ECVC invite par ailleurs le Conseil européen à maintenir son opposition à la déréglementation des OGM-NTG.
A suivre : une comparaison entre France et Allemagne sur les ressources eau et la gestion territorialisée de l’eau (2ème partie).
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