Paroles de paysans | Cédric BRIAND

Cédric (au centre) avec ses associés Mathieu (à gauche) et Hervé (à droite). Photo © La Ferme des 7 Chemins via Facebook

Quel est le rôle du social dans l’agriculture ? Quel apport de « Nos campagnes en résilience » pour les agriculteurs ? Cédric BRIAND, paysan à la Ferme des 7 Chemins et membre du Consortium de l’alimentation durable, partage son point de vue.

C’est une vaste question. Je ne suis pas un expert de la dimension sociale alors je vais le dire avec mes mots et peut-être qu’il manquera des choses.

Pour moi, la dimension sociale en agriculture est composée de plusieurs aspects : le statut social, la couverture sociale. Ce sont des choses importantes notamment sur les droits que cela peut ouvrir.

En agriculture, nous avons la MSA (Mutualité Sociale Agricole) en France. Il semble qu’il y ait une volonté de rapprocher tous les régimes sociaux. Ma crainte est une nouvelle fois que cela se fasse par un nivellement par le bas. C’est une inquiétude.

Un salaire au ras des pâquerettes

La dimension sociale dans nos activités d’indépendant, c’est toujours un peu compliqué car comment l’analyser ? Avec des critères de salarié ? Pour moi, la dimension sociale, c’est déjà quand nous salarions des personnes, que doit-on prendre en compte ? Comme nous ne pouvons pas beaucoup les payer, on leur donne un salaire au ras des pâquerettes et on fait le minimum du minimum au niveau du code du travail et du code social. Mais, on ne s’interroge pas sur l’épanouissement personnel des personnes, sur l’intégration sociale de nos salariés, comment interagissent-ils avec nous ?

Quand nous avons décidé de salarier une personne, nous n’avions que 15H par semaine à proposer car économiquement on ne pouvait pas plus. On s’est posé la question : « Est-ce que c’est bien de faire cela ? »  On a posé la question à la personne : « Tu es sûre que 15h par semaine, c’est ce qu’il te faut ? » C’est un choix de sa part car elle a un autre projet à côté, elle a donc besoin de temps. Mais, cela nous pose question tout de même, nous mettons des personnes dans la précarité. Il faudrait réfléchir à l’échelle de l’Etat pour faire des incitations à l’embauche sur des durées limitées (ça existe peut être déjà mais je ne les connais pas) pour permettre aux personnes d’être bien rémunérées et qu’ils aient une bonne couverture sociale aussi. 

Photo © La Ferme des 7 Chemins via Facebook

La protection sociale : un système à revoir

Une autre dimension sociale, nous, en tant qu’indépendants, on cotise à des caisses de prévoyance, de maladie, de retraite et selon les régimes, on ne cotise pas beaucoup socialement donc nous aurons des petits droits notamment à la retraite.

Nous, nous sommes des petits paysans, nous avons des petites fermes, c’est un marqueur social ! On n’est pas comme les gros agriculteurs qui sont toujours à la recherche d’investissements, et d’astuces pour payer le moins de charges possibles.

Si les petites fermes cotisent peu, faut-il que la protection sociale qui en découle soit faible et soit proportionnelle.

Pourquoi ne pas inventer des paliers minimum de couverture sociale. Pour le moment, on est dans le système : je cotise beaucoup, j’ai donc droit à beaucoup.

Une agriculture pas si sociale que cela !

Pour percevoir un salaire et vivre décemment, aujourd’hui, ce n’est pas toujours évident.  L’agriculture s’est industrialisée mais comment cela se fait que dans ce modèle, il y ait autant de dégâts, qu’il y ait autant de suicides et qu’il y ait autant de précarité ? 

Tout cela ce sont les aspects sociaux que nous devrions prendre en compte dans un projet.

Dans une entreprise, il y a un chef et il prend les décisions, c’est clair et carré ; dans le collectif, cela ne l’est jamais.

Photo © La Ferme des 7 Chemins via Facebook

Dans le collectif, il faut s’organiser !

Dans le collectif, il faut s’organiser ! 

Si on s’investit dans un GAEC, on ne s’investit pas à l’arrache, ce n’est pas parce qu’il y a une bonne bouteille de vin que cela suffira. On s’organise pour se payer le temps disponible les uns les autres, le temps partagé entre nous aussi, par exemple.

Les GAEC capotent parce qu’ils n’ont pas de système d’organisation du travail. Avant c’était des systèmes familiaux donc, il y avait un chef et puis, c’était pyramidal : maman apportait le café, la belle soeur faisait le bout de pain et les hommes prenaient les décisions, ça marchait.

Aujourd’hui, nous, nous avons une organisation annuelle sur la ferme ; toutes les astreintes sont faites à l’année et sont réinterrogées tout le temps.

On dépense chaque année 2000 euros pour interroger notre travail. Pour trouver un accompagnant là-dessus, c’est très très compliqué. Un accompagnement ressources humaines, organisation du travail poly-compétences serait nécessaire.

Il ne s’agit pas de dire on va faire des SCOP, si on n’interroge pas c’est quoi le projet du collectif et quels outils on met en place pour faire tourner tout cela. Que tu sois dans une association, un collectif ou une SCOP et bien, il faut l’interroger en permanence.

Dans une entreprise, il y a un chef et il prend les décisions, c’est clair et carré ; dans le collectif, cela ne l’est jamais.

Les circuits courts pour créer des liens

Pour nous, le circuit court permet de faire du lien social parce qu’il connecte les gens du territoire avec notre exploitation. Je trouve que relocaliser l’économie doit participer au lien social. Il faut une agriculture qui ne soit pas déconnectée du territoire, qu’elle soit bien ancrée dans le territoire pour créer du lien social.

Ce n’est peut-être pas du circuit court comme on l’entend. Ce n’est pas de la vente directe pure, c’est peut-être relocaliser les outils de production, les outils de transformation par exemple une mini-fromagerie. Cela veut dire de recréer du commerce local et recréer de l’emploi local et ainsi de la consommation locale.

Photo © La Ferme des 7 Chemins via Facebook

De l’agriculture…et de la culture aussi

Pour moi, dans nos fermes, on doit aussi s’investir culturellement, pas au sens cultureux, au sens culture populaire, dans la vie associative et citoyenne.

On s’investit beaucoup mais il faut plus participer au débat citoyen, faire des activités extra agricoles pour pouvoir avoir ce lien social qui te permet toi, agriculteur, si tu n’es pas au contact de la population de mesurer l’attente sociétale et de ne pas toujours être dans deux mondes séparés.

C’est pour cela que nous, sur notre exploitation, le projet à venir, c’est de créer un lieu de valorisation et de transformation jusqu’à l’assiette : on produit sur place et on mange sur place. C’est symbolique et en plus ce qu’on produit, on le produit dans un équilibre économique, humain, environnemental et puis social. 

Le changement pour tous

L’adaptation des réseaux et des institutions est une nécessité. 

Moi, j’aimerai bien faire un diagnostic entre les moyens donnés aux instances agricoles et le résultat obtenu notamment sur les installations.

Les CIAP n’arrivent pas à répondre aux demandes car elles sont trop nombreuses et pourtant, les chambres d’agricultures n’installent pas les jeunes ; il faut que les instances s’adaptent et changent et ce n’est pas le cas. C’est factuel : quels sont les résultats ? Aujourd’hui, la demande est telle en agriculture biologique et ils n’ont pas réagi. 

On doit retirer les moyens et les mettre ailleurs. Et ça, ARC pourrait faire du lobbying au niveau de l’Etat, via les financements européens donnés aux Etats, accompagner la transition par la formation et l’accompagnement, donner les moyens pour que les structures s’adaptent à cette évolution. Il faut coller plus à l’agriculture de demain et aux attentes plutôt que d’être à la botte des filières économiques.

Quand on voit le Sénat qui vote, à la demande de Lactalis pour ne plus dire d’où est originaire le lait, c’est tout le contraire de la pensée d’aujourd’hui. Ce n’est pas possible, cela ne peut plus exister. 

Il y a des ponts entre les dynamiques locales et l’échelle européenne mais il y a aussi l’institution PAC quelque part qui doit balayer devant sa porte et remettre de l’ordre dans la maison.

Les services que proposent l’Etat c’est déloyal parce qu’aujourd’hui, tout le monde peut faire du service et du conseil. A un moment donné, il faut savoir qui fait quoi ? Certains touchent de l’argent public pour accompagner les jeunes agriculteurs mais si tu te fais accompagner par une autre structure que la chambre d’agriculture, tu ne toucheras pas tout l’argent.

Quelques phrases ont été modifiées par ARC 2020 pour faciliter la compréhension.

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Cédric BRIAND est éleveur bovin en GAEC à la Ferme des 7 Chemins, co-président de la Fête de la Vache Nantaise, co-président de la Fédération des Races de Bretagne, et membre du Consortium de l’alimentation durable.

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