Pesticides en milieu rural, les réelles répercussions – Analyse des pesticides, 2e volet

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En France, au pays de la devise républicaine : « liberté ; égalité ; fraternité », les inégalités territoriales sont pourtant légion. L’exposition aux pesticides restent une des inégalités territoriales les moins présentées, ni commentées : cette deuxième partie tire ce fil d’Ariane pour poursuivre le tour d’horizon des impacts pesticides sur la santé des Français.

Marie-Lise Breure-Montagne, du projet Rural Resilience, partage son analyse ci-dessous.

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L’impact des pesticides sur les communautés rurales  

Si l’ensemble de la population ignorent que leur pays reste le premier consommateur de pesticides en Europe, juste devant l’Allemagne, les communautés rurales, elles, observent les pratiques d’épandage de pesticides avec de plus en plus de suspicion, voire d’indignation ou pire de résignation.
Vivre ensemble dans les zones rurales, c’est aussi accepter de débattre sur les impacts santé des intrants de l’agriculture. Les quatre sujets ci-après balisent assez bien la teneur des controverses, qui, si elles existent en France, sont des problématiques partagées en Europe. 

Figure 3

La santé des populations en zones rurales : peut (beaucoup) mieux faire !

La carte des décès par cancer (figure 3) peut s’emboiter assez bien à celles de la surexposition des populations aux pesticides. Celle des femmes françaises l’étant plus exactement car elles restent moins concernées par les autres causes de cancer (tabac / alcool) que les hommes. Au demeurant, corrélation n’est pas causalité. Ce qui est certain : cette géographie de la sur-exposition aux pesticides, avec des conséquences parfois léthales est installée depuis déjà plusieurs décennies, comme l’illustre la figure 4. Et c’est bien là ce qui fonde la dangerosité de cette situation sanitaire.

Les régions les plus épargnées par cette « pression phytopharmaceutique » correspondent aux zones de (moyenne) montagne (Pyrénées / Massif-Central / Alpes / Jura), où la polyculture – élevage a pu perdurer, malgré l’effet transformateur de la PAC.

Passée l’émotion de constater cette corrélation entre décès par cancer et sur-exposition aux pesticides : raffinons le diagnostic. La France perd régulièrement des places dans le domaine de l’espérance de vie. Longtemps 7ème en Europe (en 1991, comme en 2001), elle commence à décrocher à la 9ème place en 2011, pour dévisser à la 19ème place en 2021.

Plein d’autres facteurs se surajoutent pour alourdir le bilan humain : la sous-médicalisation des zones rurales françaises et leur plus grande pauvreté (pouvant se traduire par un retard au diagnostic, un renoncement aux soins, et donc une surmortalité, pour une même pathologie donnée).

Outre son décrochage en Europe (de 7ème place en 1991 à la 19ème en 2021), il est aujourd’hui démontré qu’en France, l’espérance de vie est moins bonne à la campagne qu’en ville :

« L’espérance de vie en milieu rural continue d’être jusqu’à deux ans plus courte qu’en milieu urbain », selon une nouvelle étude de l’Association des maires ruraux de France.

Il convient aussi de mentionner la difficulté croissante de mobilité à un coût abordable, pour aller se faire soigner (or les pesticides induisent des maladies chroniques, par définition longues à soigner, avec des soins lourds et suivis récurrents). Et parce qu’il s’agit aussi de cancers, abordons aussi la question du sous-équipement en soins palliatifs : les zones les plus rurales en sont très mal équipées. Bref, d’un bout à l’autre de l’histoire : double, triple peine pour les populations rurales. 

On comprend de fait la prise de position d’un collectif, avec le maire rural Gilles Noël :

« Soudain on se rend compte que ce ne serait pas plus mal d’éviter au maximum d’avoir besoin de soins en favorisant la santé et le bien-être ».

Outre des « inégalités sociales et territoriales criantes », leur diagnostic sur la crise du système de soins (particulièrement aigue en zones rurales) dénonce notamment : « la croyance dans le progrès infini de la médecine et de la pharmacie ainsi que les capacités sans limites de paiement de nos assurances sociales », et une « inadaptation aux maladies chroniques et dégénératives aujourd’hui dominantes » (Le Monde, 23/01/23). « Maladies chroniques et dégénératives » : comprenez notamment les cancers et la maladie de Parkinson.

S’il est démontré un lien entre ces maladies et l’exposition aux pesticides (partie 1 sur les agriculteurs) : à l’image de cet élu, beaucoup acteurs du monde rural n’osent pas incriminer explicitement les pesticides (mot absent de cette tribune). Et pourtant … une vague d’arrêtés anti-pesticides ont été pris par les maires ruraux et péri-urbains (en 2019-2020, dans le contexte d’élections municipales), venant illustrer une prise de conscience croissante. A raison !

Figure 4

La face la plus hideuse des pesticides : des enfants très malades 

« Les cheveux de mon fils de 6 ans, en rémission d’un cancer, contiennent des pesticides agricoles » (lemonde.fr) : la mobilisation de riverains sur-exposés aux pesticides est incarnée par ce petit garçon et aussi par …

« un capteur utilisé pour des mesures, situé à 30 mètres d’une école, dans le centre bourg de Montroy, à plus de 150 mètres des premières cultures. [La population est] donc quotidiennement exposée à ce cocktail de 41 produits, dont certains sont neurotoxiques et d’autres classés cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques ou encore perturbateurs endocriniens. Les enfants et les femmes enceintes y sont particulièrement vulnérables ». 

Cas isolé ? Certainement pas. Selon une étude publiée par le CIRC, en Europe, le taux d’incidence des cancers infantiles a augmenté de 1 à 3 % par an au cours des trois dernières décennies (principalement les leucémies et les tumeurs du cerveau). Depuis les premiers travaux épidémiologiques sur les effets chroniques des pesticides (lancés aux États-Unis par le National Cancer Institute dans des États agricoles américains comme le Kansas et le Nebraska, dans les années 80), on savait que « les hémopathies malignes apparaissaient sur-représentées parmi la population rurale du Midwest ».

L’une des avancées de l’étude INSERM 2021 est d’appuyer la présomption d’un lien entre l’exposition aux pesticides et les hémopathies malignes de l’enfant (en particulier dans le cas d’une exposition professionnelle aux pesticides de la mère pendant la grossesse, ou du père en phase pré conceptionnelle).

20% des enfants touchés par une leucémie y survivront moins de 5 ans ; 2/3 des survivants ont ou auront des séquelles de leurs traitements, voire de seconds cancers susceptibles de se manifester tout au long de leur vie.
On décompte 2000 cas de leucémies par an chez les enfants français (la part imputable aux pesticides n’est pas connue, ni même étudiable).
Les dommages des pesticides sont bien plus large chez les enfants : comme vient l’illustrer le cas des territoires sinistrés des Antilles françaises. Dans les années 2000, l’étude TIMOUN (“enfant”, en langue créole) pilotée par l’Inserm a mis en évidence un lien entre les niveaux d’exposition du chlordécone pendant la grossesse et un risque accru de naissance prématurée. 

Au total, pas moins de 576 enfants constituent la cohorte mère-enfant Timoun pour être examinés sur le temps long par les chercheurs : depuis l’analyse du sang du cordon ombilical jusqu’à d’autres stades de leur développement.

L’impact délétère du chlordécone est déjà massif sur ce territoire ultra marin (taux d’incidence du cancer de la prostate aux Antilles près de deux fois supérieur au taux d’incidence estimé en France métropolitaine sur la même période) ; plus de deux décennies après la fin de son usage, les effets sont encore présents : cette étude d’une cohorte suggère que « les capacités cognitives et les problèmes de comportement d’extériorisation à l’âge scolaire sont altérés par l’exposition au chlordécone pendant l’enfance, mais pas in utero ». Une situation extrême montrant que le recours massif aux pesticides produit une perte de chances à plusieurs niveaux pour les communautés rurales, et pour longtemps. 

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Définition des zones tampon, point de cristallisation du règlement SUR …ou sujet de diversion ?  

Lors des débats sur le règlement SUR, la question des zones tampon entre les champs traités et habitations a été âprement discutée.

Pour prendre du recul, des études sur les territoires français et allemands ont produit des données à faire valoir. L’initiative française est « une base de données, PhytAtmo, regroupant ces données pour la période 2002-2017 a été rendue publique [en 2019 par Atmo-France] ». Le nombre des pesticides recherchés chaque année […] en France évolue entre 150 et 250 en fonction des agri-systèmes régionaux. Entre 40 et 90 substances actives (herbicides, fongicides, insecticides) sont détectées annuellement dans les prélèvements d’air, à des concentrations variables dans le temps et l’espace.

« Certains composés peu volatils ou interdits sont également retrouvés. Les zones rurales et urbaines sont concernées par une contamination de l’air par des pesticides, suggérant une contribution possible des usages non agricoles ou bien du transport à des distances importantes de molécules utilisées sur les champs » (INSERM, 2021, p. 123) : ce qui indique donc que le doute subsiste sur les distances de sécurité pertinentes à prendre en compte, pour réglementer l’épandage des produits phytosanitaires. 

Dans le très documenté « ATLAS DES PESTICIDES » (2023), on trouve des constats qui pointent vers des conclusions semblables :

« À l’occasion d’une étude publiée en 2020, deux ONG allemandes (Bündnis für eine enkeltaugliche Landwirtschaft et Umweltinstitut München) ont mesuré la contamination de l’air par les pesticides et détecté les traces de 138 d’entre eux dans 163 sites répartis sur toute l’Allemagne, y compris des aires protégées, des villes et des champs en agriculture biologique. […] 30 % des substances retrouvées n’étaient pas ou plus autorisées en Allemagne ».

La distance entre les résidus retrouvés et leur zone d’application présumée en Allemagne variait entre 100 à 1000 mètres -donc des ordres de grandeur 5 à 30 fois plus élevés que ceux déjà appliqués (en France : 10 ou 20 mètres) ou discutés dans le cadre du règlement SUR (30 mètres).

Les sols sont également concernés par la contamination par des résidus de pesticides et leurs métabolites, une étude INRAE vient remobiliser sur la persistance des pesticides dans l’environnement (projet de recherche, PHYTOSOL, lancé en 2018 à la demande de l’Agence nationale de sécurité sanitaire ANSES). En outre, un sol appauvri par l’intensification, asséché et érodé par des vents plus violents (changement climatique oblige !) est un réservoir inépuisable de poussières contaminantes, pour l’air ou l’eau. Peine perdue, ce sujet est lacunaire :

« À la différence de ce qui est fait pour les milieux aquatiques et l’atmosphère, la surveillance de la contamination des sols par les pesticides n’existe pas à l’échelle du territoire ».

Le programme PHYTOSOL a montré une « persistance [des pesticides dans le sol] au-delà de la dégradabilité théorique » (mai 2023). 

Alors que ces faits accablants s’accumulent, les manœuvres pour endormir la légitime défiance des populations rurales se succèdent : « Ces mesures sont formalisées par les utilisateurs [de pesticides] dans une charte d’engagements à l’échelle départementale, après concertation avec les personnes, ou leurs représentants, habitant à proximité des zones qui pourraient être traitées ». Peine perdue : Le Conseil constitutionnel, qui sait détecter les « grosses ficelles », a ainsi déclaré contraire à la Constitution, et plus particulièrement à l’article 7 de la Charte de l’environnement (2005) la méthode d’élaboration de ces chartes. Un des nombreux coups de semonce pour faire appliquer la convention d’Aarhus, sur ces questions sensibles. 

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Cout des externalités négatives : bientôt un argument entendable ? 

Le plus étonnant quand on parcourt la SUR Proposal R1 – version for RSC meeting clean LW (004) – additional changes from table (003) (europa.eu), c’est de lire :

« This proposal does not have an impact on the EU budget ».

Sur ce sujet des phytos, le principe « pollueur payeur », inscrit dans les textes fondateurs de l’UE, n’est donc pas correctement appliqué (le fonds d’indemnisation des agriculteurs victimes de maladies professionnelles est abondé par l’industrie phytosanitaire, sans commune mesure avec le préjudice réel ni le nombre réel de victimes). Bien loin du budget de l’UE : le budget des aidants familiaux des personnes malades de pesticides est lui impacté : quid de la précarisation financière, pour un couple ou un parent isolé, se relayant au chevet d’un enfant leucémique en chambre stérile (pendant plusieurs mois) ! Seule une solidarité horizontale (ex : don de jours de congés entre salariés, prévu par le droit du travail) peut leur permettre de tenir le choc du marathon thérapeutique. 

Et c’est bien grâce à ce déni permanent et massif des impacts santé des pesticides, avec des conséquences socioéconomiques impensées, que le « système pesticides » tient la route depuis si longtemps. Pour mettre un chiffre éloquent sur l’ampleur mondial de ce déni : la méta-analyse internationale de 2016, publiée par D. BOURGUET et Thomas GUILLEMAUD (The hidden and external costs of pesticide use – Archive ouverte HAL). Ils ont mis en évidence que seules 60 études avaient été produites « worldwide » entre 1980 et 2015 pour évaluer les couts cachés et les externalités négatives des pesticides. Autant dire : rien ou presque à mettre dans l’évaluation ex ante et in itinere de cette politique phare du secteur agricole.

En France : la Cour des Comptes, qui représente les « intérêts des citoyens contribuables », apporte des estimations diverses sur l’un des quatre postes de coûts [détaillés par les chercheurs, repris par la VIA CAMPESINA] : le coût environnemental de détérioration de l’eau (polluée aux pesticides).

« En 2011, dans son étude sur les Coûts des principales pollutions agricoles de l’eau, le CGDD estimait que les surcoûts dus aux traitements complémentaires de potabilisation des collectivités locales se chiffraient entre 260 et 360 M€ par an pour ce qui concerne les pesticides et entre 120 et 360 M€ pour les nitrates ».

La Cour vante le préventif (pour la qualité des eaux), qui pourrait aussi s’appliquer à la santé humaine : « La prévention … comme un système économiquement plus avantageux que le système curatif ». 

Ce qui est acquis : les coûts de traitement des cancers sont en train d’exploser. Déjà dans les années 90, le coût de traitement (par patient) du cancer de la prostate a été multiplié par 3. Arrivent aujourd’hui d’autres innovations thérapeutiques (par exemple, les ADC Antibody Drug Conjugates : 4 sur le marché, 60 en développement) : chaque année de survie pèse au moins 150 k€ – 200 k€. Comme l’avait prophétisé Rachel CARSON, on se rapproche du moment de vérité où la situation va paraitre complètement absurde, tant sur le plan humain qu’économique. Seule certitude : nos finances publiques ne nous permettent pas de vivre encore 30 ans sous ce régime de l’absurdie.

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Conclusion : l’objectif SUR (-50% d’ici 2030) est-il atteignable ? Pertinent ?

Lors du colloque de présentation des travaux de prospective de l’INRAE (21 mars 2023), un Vice-président FNSEA explique, goguenard, que l’objectif européen de réduction de « 50% de l’usage des pesticides d’ici 2030 » pourrait connaitre le même échec que les plans ECO-PHYTO. ECO-PHYTO 1 est issu du Grenelle de l’Environnement de 2007 : 8 ans pour faire diminuer l’emploi de pesticides de 50% entre 2010 et 2018 ; le plan ECO-PHYTO III sera bientôt lancé, en accord avec la stratégie Farm to Fork. La source de cet échec, selon lui : « on n’a pas assez écouté les agriculteurs ». 

Cette analyse met plutôt en avant l’idée que les agriculteurs n’ont pas été assez informés (1ère partie).  Et plus largement, les riverains de cultures, et les communautés rurales paient le prix fort de la fuite en avant « pesticides » (2ème partie). Il semble que la Cour des Comptes, contrôlant les décideurs publics, soit du même avis :

« Il pourrait être demandé à Santé Publique France de mettre en œuvre, dans le cadre de sa mission de prévention pour la santé, une campagne d’information sur l’alimentation bio et la santé » (Cour des Comptes, 2022). Sans toutefois faire des populations rurales surexposées une cible particulière des politiques publiques de prévention-santé.

En vertu du principe d’égalité entre citoyens européens : la notion d’‘’égalité de pression phytosanitaire sur la population rurale’’ devrait compter dans les modalités de mise en œuvre : avec un objectif de renoncement aux pesticides plus conséquent dans certaines régions / zones déjà lourdement exposées. 

Vu les béances dans les connaissances des dangers des pesticides, vu l’absence de raisonnement économique global sur leur impact socio-économique, les priorités d’action, au-delà du texte du règlement SUR, reposent sur un tryptique : bataille de l’information / bataille juridique : institutions européennes et celles des états Membres / soutien par des études scientifiques et techniques. 

Pour aller plus loin :

Bien-être dans les zones rurales ? Un pas de côté, pour envisager la sortie des pesticides

Ernährungsrat: les possibilités démocratiques des PAiTs en Allemagne

Démocratiser les PAT ? Peaufiner la boîte à outils des financements !

Nos campagnes en résilience | Cogitations collectives au cœur de la transition socio-écologique

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About Marie-Lise Breure-Montagne 26 Articles

As her family name suggests, Marie-Lise was born and raised in a mountainous and harsh region: France’s Massif-Central (Auvergne).
She studied agronomy and ag-economics in the south of France (Sup Agro - Montpellier). She has spent the last two decades working on territorialized public policies (environment, ecological and climate transition, youthness, solidarity, rurality, …), as project manager in local authorities, and as a trainer. Good preparation for the objectives of phase 2 of the Rural Resilience project, focusing in particular on multi-tiered rural policies, for which she served as project coordinator from February 2023 to February 2024.