Il n’y a qu’un seul Green Deal de l’UE, mais de nombreuses façons de démocratiser la politique alimentaire locale.
Dans la première partie de cette analyse, nous avons disséqué les insuffisances financières des Programmes Alimentaires Territoriaux (PAT) de la France. Dans la deuxième partie, nous examinons l’Allemagne et le potentiel démocratique des Conseils de Politique Alimentaire (Ernährungsrat). Nous comparons ensuite les expériences créatives de deux municipalités françaises.
Deuxième partie d’une analyse de politique menée par le projet de résilience rurale.*
Pour explorer cette « constellation de démocraties alimentaires locales », il convient de faire un petit détour par l’Allemagne, avant d’illustrer avec deux cas de figure français (aux deux extrêmes, en termes de taille de collectivité) : le PAIT (Projet Alimentaire Inter-Territorial) de la grande région de Grenoble (Sud-Est) et le PAAC de la commune rurale de Plessé (Nord-Ouest). Ou comment la créativité sur les acronymes, permet de marquer une nécessaire distance avec l’approche PAT, (trop) encadrée ou contrainte par le tissu institutionnel.
L’Europe Germanophone : en forte écoute de ses citoyens
En Allemagne, pays plus dense que la France, les initiatives les plus visibles émanent des grandes villes, à l’instar de la capitale Berlin : “The Food Policy Council Berlin (Ernährungsrat Berlin) is a civil society association of actors who are committed to ecological, climate and socially just food production and distribution in the Berlin area. The Council sees itself as an alliance that publicly represents civil society positions. The Council calls for a sustainable food system and wants to help civil society positions gain political validity”.
A chaque grande métropole, son ‘’food policy council’’ qui exige un nouveau système alimentaire, en forte critique de la non-soutenabilité et de l’absence de justice sociale.
“The work of the Food Policy Council is based on the political concept of food sovereignty”.
Leverage points for sustainable transformation
Cette tendance se caractérise par une capacité à rassembler les acteurs de toute l’Allemagne et territoires germanophones voisins d’Autriche, de Suisse (13) : la 1ère rencontre ayant eu lieu en 2017 (année qui restera un repère en Allemagne, accueillant la COP 23 à Bonn en Novembre).
« From the 10th to the 12th of November 2017, over 100 people from more than 40 cities came together in Essen, Germany to exchange ideas and experiences about food policy councils (FPCs, in German: Ernährungsräte). This was the first networking congress of recently created food policy councils and initiatives planning to do so in the near future in German-speaking countries and regions (Austria, Germany, South Tirol and Switzerland)”
Leverage points for sustainable transformation
Avec le fil rouge des sessions de l’après-midi, le ton est donné : « Do it yourself » (en général, DIY signifie moins d’obstacles financiers car le réservoir de main d’œuvre citoyenne est quasi infini). Avec les guest stars d’autres pays (l’américain Mark Winne), le conseil est de “commencez par le faisable” (“start with the doable”) … donc en clair la multitude de chantiers modestes et finançables.
Le PAIT de Grenoble : Projet Alimentaire Inter-Territorial
Pour contextualiser, il convient d’expliciter que le poids des métropoles et grandes agglomérations dans le nombre de PAT reste fort en France : « plus de 60 % des 38 PAT lauréats en 2018 » (source : CAP NSP).
Le cas de Grenoble illustre la France des villes, telle qu’elle est sortie des urnes à l’occasion des élections municipales de juin 2020 (avec un 1er tour de scrutin en mars 2020, un 2ème tour en juin 2020). Les électeurs ont pleinement eu le temps de réfléchir sur la vulnérabilité alimentaire pendant le 1er confinement. Le parti EELV (Europe Ecologie Les Verts), seul ou avec ses alliés historiques (Parti Socialiste) a raflé plusieurs grandes villes -dont Grenoble dirigée aujourd’hui par le maire Eric PIOLLE.
Son agglomération Grenoble Alpes Métropole est présidée par un ex-PS, qui déclare : « L’agglomération grenobloise est la petite vallée aux grandes idées…elle a tout d’une grande » (446 612 habitants en 2019). Une des fiertés de l’aire urbaine Grenobloise a longtemps été d’être une Silicon Valley à la française.
Un des chantiers de la nouvelle majorité a été de mettre sur pied un PAIT (Projet Alimentaire inter-Territorial) de la grande région Grenobloise. Dans ce projet de transition alimentaire, sont impliquées de manière horizontale plusieurs collectivités, certaines agglomérations très urbaines, d’autres « Com Com » très rurales – en tout 380 communes). Parmi les trois acteurs socio-professionnels, outre la Chambre d’Agriculture de l’Isère : une association loi 1901, le Collectif Autonomie Alimentaire de Grenoble et ses Environs.
Autant être clair : dans cette configuration, on explose les frontières administratives françaises classiques … tout en restant dépendant des mécanismes de financement en place.
Ainsi, la précédente programmation LEADER avait permis à l’une des Communautés de Communes de soutenir des efforts de contribution au PAIT ; en revanche « avec la nouvelle programmation [par la région AURA Auvergne Rhône Alpes], on n’y aura plus droit. De manière surprenante, le développement de l’emploi est privilégié (alors qu’il y a déjà les fonds européens FSE à cet usage), ainsi que la revitalisation des centres bourgs. Il faudra donc se débrouiller autrement » (source : un des élus d’une commune de l’aire métropolitaine).
En 2022, ce PAIT a franchi un cap en élaborant une vision prospective 2050, pour souder ce collectif d’acteurs (ad-hoc et hétérogène), portés par la conviction que le scénario tendanciel ne serait pas tenable (18).
Le PAAC de Plessé
Plessé est une (vaste) commune rurale de 5265 habitants (avec trois bourgs), située au centre d’un « triangle » de trois villes : Vannes, Rennes et Nantes. L’équipe municipale actuelle a fait campagne en mars 2020 avec un mot d’ordre « Osons Plessé, alternative citoyenne », puis, une fois élue, a désigné Aurélie MEZIERE, ingénieure quadra, comme Maire. Ce collectif d’élus, sans étiquette politique, se définit comme « facilitateur du bien vivre à Plessé (développement collectif, personnel, associatif et professionnel), animateur d’une gouvernance partagée (consultation, prise de décision, projets dans les domaines économiques, environnementaux et sociétaux), ouvert sur l’extérieur (avec la volonté de s’appuyer sur les expériences innovantes développées par d’autres collectivités) ». Avec un tel positionnement, la question agricole et alimentaire a été placée parmi les priorités de leur premier mandat : l’idée était de « créer notre politique agricole et alimentaire », explique Rémi BESLE, l’un des adjoints en charge de cette PAAC (clin d’œil gentiment narquois à la Politique Agricole Commune, qui peine à intégrer les questions alimentaires après six décennies d’existence). Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ; ainsi en est-il pour la PAAC de Plessé, qui comporte six objectifs stratégiques et complémentaires :
- Communiquer positivement sur l’agriculture dans la commune ; il est d’ailleurs prévu de célébrer à mi-mandat, en automne 2023, les premiers succès et les résultats atteints (comme, par exemple, 80% de repas de la cantine servis avec des produits locaux).
- Privilégier une agriculture économiquement viable, diverse et plurielle : à partir d’un tissu de 92 exploitations, majoritairement en production laitière et en viande bovine, une des idées directrices est d’augmenter la part du maraîchage, de l’arboriculture, et de l’élevage ovin / caprin.
- Favoriser l’accueil de porteurs de projet (à différents niveaux des chaînes alimentaires) : outre la cuisine des cantines scolaires en régie municipale, la mise en place de magasins de producteurs, la création d’outils de transformation
- Maintenir l’attention sur la démographie agricole : un fermier parti (en retraite), un fermier installé. Ainsi en 3 ans : l’hémorragie de 25 agriculteurs en retraite a été compensée par l’installation de 25 jeunes.
- Préserver les ressources naturelles de la commune : une des mesures phares est l’inventaire bocager sur le territoire communal – l’impact recherché est de mettre une interdiction d’arrachage de ces haies bocagères (marqueur des paysages ruraux sous climat océanique, avec de nombreux services écosystémiques associés).
- Préserver le foncier agricole : par le levier ‘plan d’urbanisme’, bien articulé au droit de préemption, que les SAFER (organes de régulation dans le foncier agricole, spécifiques à la France) et les maires peuvent exercer en France.
Une présentation de cette politique inspirante a été faite en mars 2023 à la rencontre européenne Feeding Ourselves, à Cloughjordan en Irlande, co-organisée par CULTIVATE, FORUM SYNERGIE et ARC 2020 (ainsi que d’autres partenaires) : Présentation de Rémi BESLE, l’adjoint de Plessé en charge de l’agriculture et l’alimentation. Retrouvez-le video ici : Connecting with Europe – Rural Europe Takes Action” during Feeding Ourselves 2023.
Conclusion et perspectives
La France des PAT peut se résumer à la confrontation « horizontalité / verticalité » : dans les territoires les plus innovants, avec une logique plus horizontale, et un nouveau rapport ville – campagne qui se dessine. Verticalité jamais absente car l’apport des fonds européens (programmes LEADER) reste majeur pour les initiatives les plus significatives (chantiers structurants de PAT ou de PAIT sur périmètre de population important).
La France des PAT est riche de paradoxes : un président qui en reste le meilleur avocat, mais seulement quelques jours pendant ses deux mandats (et jamais pendant ses réunions à Bruxelles) :
« Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie. Nous devons en reprendre le contrôle, construire plus encore que nous ne le faisons déjà une France, une Europe souveraine, une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main » (PR E. MACRON, 12 mars 2020).
Et, « en même temps », un gouvernement qui s’apprête à adopter une SNANC (Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat – publication prévue en juillet 2023), avant que la Sustainable Food Systems Law ne soit adoptée.
Un des débats qui devrait être vif : faut-il légitimer toutes les collectivités du millefeuille territorial comme possibles porteuses de PAT, « leur donner une compétence partagée d’organisation de l’alimentation durable et résiliente et en faire des Autorités organisatrices de l’alimentation durable et résiliente » (Frédéric MARCHAND, 2022).
Recommandation qui rejoint l’une de celles de l’EEB qui plaide pour que « The SFS Law should envisage National Sustainable Food Plans to engage all levels of governance and maximise effectiveness » , tout en préconisant « a strong accountability to monitor progress ».
En contradiction avec les toutes dernières écritures du CNA (Conseil National de l’Alimentation, saisi en février 2023 par trois de ses ministères français de rattachement : la santé, l’environnement et l’agriculture) : “Compétence « alimentation durable » au sein du bloc communal.”
Un dernier paradoxe, et gros sujet de controverses sur le long chemin vers des chaînes alimentaires résilientes : l’Europe ne s’est jamais mêlée de proposer des changements sur les structures administratives des Etats membres, tout en étant très prompte à fixer des objectifs stratégiques ambitieux (voire propres à générer un « grand soir » de la gouvernance locale). Sa boîte à outils de financements, pour des sujets polymorphes comme les systèmes alimentaires territorialisés, est en outre tellement complexe qu’elle peut décourager. Voire creuser un fossé encore plus profond entre l’Union européenne et ses territoires les plus défavorisés / ruraux : pour le meilleur de la créativité citoyenne, ou pour le pire de la colère populaire.
Démocratiser les PAT ? Peaufiner la boîte à outils des financements !
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