Marion et Benjamin sont les 2 associés du GAEC La Ferme du Buis Sonnant à Plouguernével (22). L’élevage des porcs et des vaches laitières, la transformation sur place … mais aussi les réflexions autour du changement social. En allant à la rencontre de ces acteurs ruraux qui expérimentent la transition socio-écologique, l’équipe Nos Campagnes en Résilience souhaite valoriser leurs propositions.
Ce qui suit est la première partie, dans laquelle Marion et Benjamin mènent des réflexions autour de leur installation citoyenne et agricole. Dans une deuxième partie, à suivre prochainement, les deux paysans aborderont les questions de l’implication dans les réseaux, et le poids des représentations.
Valérie Geslin, coordinatrice du projet, reflète sur (encore) une belle rencontre en Bretagne.
C’est dans la cour de La Ferme du Buis Sonnant à Plouguernével (22) que Marion et Benjamin nous accueillent avec un large sourire. Les questions de l’achat des terres, de transmission, de partage des responsabilités sont abordées avec beaucoup d’humilité. Sans jugements, ni préjugés, ils s’interrogent sur le mode de fonctionnement et l’évolution du monde agricole.
Ingénieurs agricoles de formation, leur parcours est fait de riches et diverses expériences et notamment du volontariat dans un petit village de Madagascar. Cette expérience a été une révélation dans leur choix de vie : « le partage, le vivre au jour le jour, la chance que l’on a d’avoir notre système, d’être né en France, c’est génial. Nourrir ses voisins, c’est ce qu’on fait et c’est que l’on a envie de faire ».
Ils sont arrivés en 2015 sur la ferme des grands-parents de Marion. Pendant une année, avec un autre associé, ils ont pu bénéficier de l’accompagnement de la CIAP 44 dans le cadre d’un stage paysan créatif. La CIAP a été un vrai atout pour tous les trois : ils les ont aidés financièrement, socialement, économiquement, et administrativement. Un accompagnement qui leur a mis le pied à l’étrier. Pour finaliser leur projet et acheter les terres de la ferme, Marion et Benjamin ont opté pour deux choix : un prêt minime auprès de la banque et une collecte citoyenne.
Une installation citoyenne et agricole
Marion : « En juin 2016, on a décidé de faire acheter la ferme par une SCI (société civile immobilière) citoyenne. On s’est fait accompagner par Terre de liens pour pouvoir acheter les bâtiments, la terre et récolter l’argent auprès de citoyens. On a récupéré la somme de 140 000 euros en 42 jours. On avait parlé de notre projet via des flyers, Facebook, notre site, et en faisant des réunions publiques. Aujourd’hui, nous sommes 120 associés. Il y a plus de 400 parts dans la SCI. La part coûte 250€. Les gens restent propriétaires de leur argent et peuvent le récupérer quand ils le souhaitent. Il n’y a pas de spéculation sur l’achat du foncier ».
Benjamin : « On a lancé cette collecte et on a réussi en un mois et demi avec des gens qui s’impliquaient parce que c’était de l’agriculture biologique, d’autres parce qu’ils nous connaissaient, d’autres parce que c’est des voisins ou des gens du territoire qui se disent que ce serait bien qu’il y ait une petite ferme sur le territoire …. et d’autres qui voulaient placer leur argent mais pas à la banque. Ils sont plus sur un volet éthique économique, écologique. »
Le prix de la part a été fixé par Marion et Benjamin en fonction de leur besoin et pour limiter un nombre important de citoyens : un équilibre à trouver.
Marion : « Statutairement, il n’y a pas un nombre maximum de parts mais nous, on fait attention pour que cela puisse être rachetable si la personne s’en va. On a fixé un plafond à 10 000 euros par personne ».
L’important pour Marion et Benjamin, c’est avant tout que les personnes aient un lien avec le projet « ce n’est pas juste un placement à la banque »
Benjamin : « Aujourd’hui, on paie un loyer pour les bâtiments et un fermage pour les terres à la SCI ; Ceux-ci sont ensuite redistribués aux citoyens sociétaires. L’intérêt c’est qu’on voyait diminuer l’enveloppe de prêt. C’était aussi stopper la spéculation sur le foncier et sur l’immobilier. Cela permet la transmissibilité de la ferme, une question importante et que nous avons pensé dès le départ. Nous ne voulons pas passer notre temps à rembourser des prêts et ensuite demander à la génération suivante de nous payer notre capital et un peu plus encore. Tous ces prescripteurs sont des souscripteurs du projet donc potentiellement de futurs clients. Pour le projet de société, on trouvait important que les consommateurs aient aussi leurs mots à dire dans l’agriculture. Tout le monde n’a pas vocation ou envie de faire ce métier, nous on a fait ce choix-là et on en est très content. »
C’est plutôt un partage de responsabilités et de projet qu’on recherche.
Avec le départ d’un des associés, Marion et Benjamin sont actuellement deux associés, une salariée plein temps et quelques petits bouts de salariats pour passer l’année.
Benjamin : « Ce n’est pas notre souhait de fonctionnement. On se retrouve dans un système où nous sommes un couple de gérants avec des gens à qui on transmet des consignes même si on travaille en total autonomie. On a un fonctionnement où l’on a un partage de responsabilités mais, dans les statuts, c’est dissonant. C’est plutôt un partage de responsabilités et de projet qu’on recherche. On arrive à se tirer un salaire de 1300 euros chacun. Le comparatif entre le rythme de travail et l’argent dégagé nous plait. A notre salaire, il faut ajouter les avantages : la nourriture, les voitures, 5 semaines de congés. »
De nouveaux associés pour poursuivre l’aventure
Maxime et Sophie, de futurs associés, vont rejoindre le GAEC en janvier 2022. Tout est organisé pour leur accueil. Marion et Benjamin ont envie de construire collectivement la nouvelle vision du projet, son évolution et avant tout de vivre une aventure humaine.
Benjamin : « On va travailler sur ce qui anime humainement le projet, autour des valeurs communes ».
C’est une opportunité pour Marion et Benjamin de se poser et réfléchir à leurs fondamentaux : qu’est-ce qui est important pour eux, ce qui est négociable ou non. Bien sûr, tout ne peut pas changer mais ils sont ouverts à toutes les nouvelles propositions.
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Pourquoi pas créer une SCOP dans l’avenir
Benjamin : « C’est toujours dans l’idée de transmissibilité de l’outil, de faciliter l’installation simple d’agriculteur. C’est trop compliqué les entrées et les sorties. Il y a le frein économique mais il y a aussi le frein administratif, c’est un parcours du combattant. Le statut de SCOP permettrait d’alléger cela. Le statut GAEC force à capitaliser avec les parts sociales. Nous, on les a maintenues au minimum, 500 euros par personne mais il y a le compte associé où le but est d’avoir une entreprise prospère. Si on peut faire 1500 euros et 8 semaines de vacances, on sera content. C’est vers cela que nous avons envie d’aller.
« On tente de lutter contre stocker de l’argent dans l’entreprise et la SCOP le permet et te force par les statuts à ne pas le bloquer : une part est bloquée pour les entreprises et le reste est divisé entre les travailleurs. Dans une transmission de GAEC, ce n’est pas le cas. Il faut que les nouveaux paient la sortie des sortants. Du coup, ils sont obligés d’emprunter et ils ne pourront pas avoir de salaire. C’est quoi ce choix de vie : tu démarres à 30 ans mais t’inquiète à 60 tu seras heureux. On a une vie plus au quotidien sans être complètement fous sur l’avenir. On ne veut pas faire n’importe quoi mais on veut se tirer un salaire aujourd’hui. C’est aujourd’hui qu’on a envie de profiter de nos enfants ».
Le GAEC est dans un système fiscal actuellement très avantageux où les charges et les cotisations sont peu importantes. La SCOP n’a pas ces avantages et les cotisations sont plus importantes…mais elle permet d’assurer un salaire différé pour la retraite sans capitalisation de la ferme. L’évolution des modèles est inéluctable ; il est intéressant de s’y pencher, d’y réfléchir de faire évoluer les politiques et les financements publics sur ce sujet (la dotation jeunes agriculteurs par exemple ou encore le travail avec les régions).
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