Paroles de paysans | Marie et Gilles AVOCAT

Photo : Marie et Gilles AVOCAT

Qu’est-ce que le social dans l’agriculture ? Que peut apporter « Nos campagnes en résilience » aux paysans ?

Marie et Gilles AVOCAT élevaient des brebis et produisaient du fromage au sein d’un GAEC. Ils ont toujours été très investis dans le monde associatif. Avec le centre social du Beaufortain, ils se sont impliqués dans la sensibilisation et l’information de la population sur tous les enjeux de société.  Ils ont notamment participé aux tables de découverte de la restauration collective pour une alimentation plus bio et plus locale et à la mise en place de ciné débats ouvert à tous.

Marie et Gilles nous accueillent autour d’un café dans une ambiance familiale et conviviale. Ils nous livrent, avec passion, leur vision sociale de l’agriculture.

Le productivisme, modèle mis en place après la seconde guerre mondiale a produit de grands changements : l’exode, la mécanisation, les produits chimiques, … les répercussions environnementales sont visibles. Les molécules ont chassé les paysannes et les paysans de leurs terres, ils les ont remplacés.

Tout ce modèle a des conséquences sur ce que l’on vit aujourd’hui. Et ce n’est pas fini ! Ce n’est pas qu’un problème d’environnement et de santé, on est vraiment sur le champ social et sociétal.

A la base, il y a la planète, c’est notre environnement. Les êtres humains ont besoin de vivre avec les autres. On pourrait appeler cela la sphère sociale qui est en interaction avec la situation de la planète, les répartitions des richesses ou dans l’implication des êtres humains sur leur environnement.

Le social, c’est à la fois les liens internes au monde paysan et les liens avec le reste de la société. L’économie, c’est la sphère des échanges. Et enfin, il y a notre rapport personnel et intime.

Photo : Marie et Gilles AVOCAT

Le social, c’est la santé, les politiques familiales, la retraite, les droits sociaux…

Pour nous, le monde paysan, nous avons la MSA (Mutualité Sociale Agricole). C’est une caisse indépendante financée par des paysans qui ont toujours été considérés globalement, enfin non, pas considérés. C’est la prise en charge de la maladie, de la politique familiale, des allocations familiales, des retraites.

C’est quand même un minima. Par exemple, les retraites perçues sont toujours très faibles et en dessous de celles des salariés. Cela a toujours été dans le sens de faire une « bouffe » pas chère, d’avoir des travailleurs durs à la tâche et avec des droits sociaux qui ne sont pas à la hauteur de la tâche.

En satellite de cela, 365 jours tu es ferré à ta ferme, du coup, il y a les services de remplacement. C’est un vrai plus mais ce service n’est pas accessible à tous car il représente un coût parfois important pour nous, paysans. D’ailleurs, nous avons eu l’occasion de créer un service de remplacement alternatif pour faciliter l’accès au plus de personnes possibles.

Il y a de nombreuses façons de s’associer et travailler ensemble : les GAEC, les SCOP, les SCIC

C’est une unité qui n’est pas qu’économique, il y a des rapports particuliers entre les associés. Pour la création des GAEC, il y a des formations proposées (cela dépend des départements) pour bien communiquer sur la façon de travailler, pour que les relations soient bonnes entre les associés.

On ne décrète pas : on va travailler ensemble, ça va être tout bien. On l’a vécu, on sait ce que c’est. C’est bien, mais ce n’est pas sans difficulté. La dimension personnelle est à prendre en compte.

En cas de difficultés relationnelles, où cela tourne vinaigre, il existe un service (avec la chambre d’agriculture, la MSA…) pour organiser des médiations, faire en sorte que cela continue à tenir le coup ou pour aller jusqu’à une séparation.

Photo : Marie et Gilles AVOCAT

L’accueil des stagiaires pour assurer la transmission, une étape importante dans une carrière

L’accueil de stagiaires, c’est hyper important dans la vie de paysans, paysannes. C’est une façon de transmettre du savoir et avec tout le contact humain qui va avec.

Passer ta connaissance avec des jeunes, c’est dynamique. C’est surtout l’idée de passer sa ferme. C’est un moment fort d’une carrière, comme on dit.  Ce n’est pas un truc qui se fait tout seul, on ne claque pas des doigts et cela se fait : il faut y réfléchir, il faut voir comment la personne va reprendre, si c’est une association qui est intermédiaire, comment chacun trouve sa place et quand c’est le bon moment de se retirer.

Le foncier dessine la carte des liens sociaux

Ton assise foncière dépend beaucoup de ta situation sociale.  C’est une grosse partie de l’outil de travail.  Si tu es dans un processus d’agrandissement permanent et bien, il y a toute une partie des paysans qui va disparaître.

C’est vraiment l’assise première : un bâtiment tu peux le construire sur une petite surface, un troupeau tu peux le constituer sur une petite surface, du matériel tu peux le concentrer mais le foncier dessine la carte des liens sociaux qu’il y aura entre les paysans qui bossent.

Paroles de paysans | Ludovic BOULERIE

Les organisations collectives, des facilitateurs de rencontres

La question des rencontres est aussi importante que la question syndicale. Il y a des besoins de liens sociaux. C’est exactement ce que nous avons vécu. Beaucoup de nos meilleurs amis étaient dans le syndicat ou dans les groupes satellites.

Pour nous, en bio, il existe des structures, comme l’ADABIO avec de la formation et des rencontres avec d’autres paysannes et paysans. C’est des échanges techniques, des voyages, des études mais aussi du rapport humain, des gens à qui tu téléphones, que tu revois.

Tous les groupements techniques (les mutuelles vétérinaires, les CUMA, les GIDA (Groupement intercommunal de développement agricole), les ateliers paysans, les abattoirs), tout ce qui est coopératif comme la coopérative de Beaufort, les magasins de producteurs permettent de se rassembler, de se mettre autour d’une table et avoir un projet commun. Il y a eu la création d’accueil paysan avec la dimension d’accueil, les CEP (Comité d’Etudes et de Propositions en milieu rural). C’est du passé mais il y a des choses que l’on retrouve encore aujourd’hui.

Après, il y a aussi des dérives. Ce serait intéressant de voir les écarts entre les idées de départ et le résultat final. Les évolutions sont marquées par de nombreux freins. 

Photo : Marie et Gilles AVOCAT

Le syndicalisme, un des piliers

Le syndicalisme façonne le paysage social suivant les options que tu prends. Par exemple, la confédération paysanne défend l’installation de paysans dans les campagnes avec une production de qualité, avec une rémunération minimum, tout ce qui va avec le concept d’agriculture paysanne. 

Les syndicats (hors FNSEA) sont de plus en plus minoritaires du fait de la baisse du nombre de paysans mais pas forcément en pourcentage de syndiqués.  Ils ont des revendications par rapport aux institutions à l’échelon départemental. Ils s’impliquent dans les commissions qui vont orienter la politique départementale ou gérer des problèmes de répartition du foncier, par exemple. Cela va de la participation aux commissions à la manifestation organisée.

Le syndicalisme se positionne aussi par rapport aux politiques nationales et à la politique européenne qui est bien particulière. Pour nous, cela a été énormément de formation et d’ouverture au monde.

A la confédération paysanne, il y avait une branche solidarité internationale (maintenant, c’est Via Campesina). Nous nous positionnions sur comment d’autres paysans à l’autre bout du monde peuvent exister ? Quel modèle de développement nous recherchons par rapport à la situation, à des milliers de kilomètres, est-ce que c’est compatible ?

Dans les années 80, c’était déjà l’importation de tourtons de soja d’Amérique Latine, c’était surtout dans l’ouest de la France. Il y a des paysans qui réfléchissaient à sortir de cette spirale de consommation mais on devait réfléchir en même temps sur les répercussions que cela allait produire si nous, on n’achète plus, c’est du travail qu’il y aura en moins là-bas : Comment coopérer pour que tout le monde s’en sorte bien ? C’est un questionnement hyper intéressant, toujours d’actualité et encore plus dramatique aujourd’hui.

Comment coopérer pour que tout le monde s’en sorte bien ? C’est un questionnement hyper intéressant, toujours d’actualité et encore plus dramatique aujourd’hui.

Paroles de paysans | Cédric BRIAND

N’oublions pas l’ADDEAR

En Savoie, elle a une histoire particulière car elle a surtout été créée pour soutenir des paysans et des paysannes en difficultés. Il y avait, bien sûr, une commission départementale pour les agriculteurs en difficultés, avec la MSA, la chambre d’agriculture, la banque…des gens, on va dire, humanistes par rapport à une certaine détresse mais ayant des réponses qui étaient loin d’être humanistes quelquefois.

C’est pour cela que l’on a créé l’ADDEAR au départ, pour essayer de prendre en compte d’autres situations qui méritaient une autre approche, plus humaine. Mais pour être à la hauteur de la tâche, on n’avait pas la formation. Cela est tombé à l’eau même s’il y a eu des belles actions d’accompagnement. Il aurait fallu se spécialiser là-dedans. 

Il y a des groupes au département qui s’appellent solidarités paysannes qui sont très efficaces sur l’accompagnement de gens en difficulté. C’est une structure autonome parce que c’est une approche particulière. C’est intéressant de voir que cela existe. L’ADDEAR est très dynamique sur le département de la Savoie.

Il y a aussi les centres d’actions juridiques, des organisations régionales. Ils font de l’accompagnement et assurent la défense de paysans par des paysans. 

Photo : Marie et Gilles AVOCAT

Et la place des femmes ?

Il y a eu les mouvements féministes. Ici, dans le Beaufortain, on a eu le mouvement « En ça, en Là ». Il est né d’une organisation paysanne et du centre social. On a fait un pont entre le monde paysan et le monde du social. C’était intéressant. C’était sympa avec les marchés, le banc commun.

Le droit des femmes est peu mis en avant.  C’est récent que les femmes peuvent avoir un congé maternité (1976) ou l’allocation parentale. 

Les formations pour créer des liens

La formation, dans l’univers de vie du paysan, c’est quand même des moments importants soit par rapport à la technique, le travail en lui-même mais aussi sur d’autres aspects comme le syndicalisme.

Il y a un truc dont on n’a pas parlé, c’est l’enseignement agricole. Tout comme on n’a notre propre sécurité sociale, la MSA, ce qui est bien regrettable, et bien, il y a le fait que les lycées agricoles sont rattachés au ministère de l’agriculture. C’est problématique aussi. C’est un frein pour l’ouverture aux problématiques écologiques et environnementales.  Ils devraient être en première ligne normalement. Il y a des lycées qui dispensent une formation bio, mais il n’y en a pas beaucoup. C’est un petit progrès.

Il y a le fait que les lycées agricoles sont rattachés au ministère de l’agriculture. C’est un frein pour l’ouverture aux problématiques écologiques et environnementales.

Clin d’œil culture | « Nature intérieure » par Rémi SERAIN

Des paysans artistes

Dans le monde paysan, il y a des gens qui écrivent, qui font de la musique, des gens qui font du théâtre. C’est un aspect qui crée du lien entre les personnes.

Clin d’œil culture | International Village Shop par myvillages

L’écologie et le social sont liés

Une approche commune est essentielle. Il y a toujours eu une volonté de dialogue avec les gens non paysans. On peut être sur une posture corporatiste mais on peut aussi être sur une posture hyper ouverte, se dire qu’il y a des choses qui ne regardent pas que le monde paysan. Tu raisonnes différemment, tu intègres dans ta réflexion un univers beaucoup plus large. C’est toute la richesse, c’est même une nécessité.

C’est le cas de la réflexion sur l’alimentation aujourd’hui avec les AMAPS par exemple. Beaucoup de gens partagent la démarche mais ne sont pas paysans. Ils ont envie de rester dans un lien, ils pensent que cela leur appartient aussi quelque part. Le sujet de l’alimentation est partagé par tous les êtres humains, que ce soit sur sa qualité nutritionnelle, son coût, son impact sur l’environnement extérieur, ou encore son accessibilité aux gens les plus démunis. C’est la chose basique, d’où l’idée de la sécurité sociale de l’alimentation.

Nous avons besoin d’unir des forces pour le changement, c’est aussi trouver d’autres partenaires pour influer sur le cours des choses.

On pourrait en dire beaucoup. C’est tout le respect du système écologique et mettre en face le nombre de gens qui devront travailler la terre pour arriver à se construire un futur dans l’avenir. C’est plus l’aspect sociétal et la préservation des ressources naturelles. La santé joue beaucoup sur la situation des personnes suivant les modes de production que l’on utilise, on l’a vu avec l’épandage de pesticides, de paysans intoxiqués. Après, les choses que l’on a fait ici, moi, c’est surtout pendant ma retraite : le monde paysan rejoint l’aspect culturel d’informations, tout ce qui peut être mis en place sur une réflexion des modes de production, de l’implication que ça a. par des conférences, des idées, des choses comme cela.

Nous avons besoin d’unir des forces pour le changement, c’est aussi trouver d’autres partenaires pour influer sur le cours des choses.

Photo : Marie et Gilles AVOCAT

Pourquoi ARC 2020 ?

ARC2020, si tu ne m’en avais pas parlé, je n’aurais jamais su que cela existait donc, personnellement, je n’ai pas une vision claire de ce qui est recherché. Il n’y a pas d’assise paysanne, c’est une vraie difficulté. Mais il serait intéressant de voir comment rendre efficace les choses pour que cela ait plus de poids au niveau européen. De nombreuses organisations existent au niveau national et européen, c’est peut-être les appuyer et venir les alimenter pour les rendre plus fortes.

 

Quelques phrases ont été modifiées par ARC 2020 pour faciliter la compréhension.

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