Naviguons en cercles, cap pour 2030 !

« Roue de semences » au jardin vertical, Bruxelles, 2020. Photo © Hannes Lorenzen

Depuis le tournant du siècle, ARC2020 participe à la lutte pour que les politiques agricoles, alimentaires et rurales européennes soient plus justes, plus résistantes, plus idoine à l’avenir. Tournons-nous en rond, ou naviguons-nous en cercles ? Hannes Lorenzen, président de l’association, partage quelques réflexions pour la nouvelle année et les années à venir.

Laissons de côté l’année 2020 et le covid 19 et regardons vers l’avenir, l’après pandémie.

En 2010, nous imaginions que l’année 2020 marquera un changement de paradigme et que l’alimentation saine, la « bonne » agriculture et la renaissance du monde rural auraient leur revanche. Nous étions, à cette époque, dans un élan d’optimisme. Mais soyons honnêtes : nos luttes et nos essais ne se sont pas transformés et la réalité est tout autre.

Depuis combien de temps essayons-nous d’influer sur les politiques agricoles, alimentaires et rurales européennes pour qu’elles soient plus durables, plus justes, plus résistantes ? Tournons-nous en rond ? Disons plutôt que nous naviguons en cercles.

Je vous propose trois cycles de réflexion pour les années à venir.

La Convention Agro-culturelle Européenne a été conclue au Parlement européen en 2002, sous l’égide de Valéry GISCARD d’ESTAING (ici le deuxième à gauche ; Hannes LORENZEN se voit à droite de la photo). Appelant aux réformes de la PAC, elle s’agissait d’une des rares initiatives de démocratie directe remettant en cause le processus peu démocratique de la Convention européenne intergouvernementale. Photo © Le Parlement européen

1. La résilience politique

Naviguer dans les courants politiques, c’est avant tout rester à l’écoute de ce qui se passe, analyser les défis actuels et ceux à venir. C’est aussi savoir repérer les intérêts particuliers et le système politique afin d’influencer les processus décisionnels et créer, le cas échéant, des partenariats stratégiques. C’est enfin, instaurer une confiance par la coopération pour combler les failles entre la société civile, les politiques et les différentes administrations.

Ce fût chose faite par chaque membre d’ARC 2020, pendant de nombreuses années.

Notre résilience politique s’est forgée au fur et à mesure, en même temps, que l’émergence de divers mouvements et alliances pour le changement. Cela n’a pas été un long fleuve tranquille et nous avons dû essuyer des échecs et des revers mais, nous avons constamment rebondi et réajusté notre cap. Notre résilience politique s’est construite petit à petit à contre-courant des tendances actuelles.

Selon moi, les opportunités pour une véritable réorientation ne se présentent, en moyenne, que tous les dix ans. Il ne faut pas les rater et être prêt le moment venu à sauter et réussir… Si vous loupez le coche, pas de chance… il faudra patienter à nouveau au moins une dizaine d’années.

Convention Agro-culturelle Européenne

Depuis presque 20 ans, ARC 2020 lutte pour préparer l’agriculture et les communautés rurales européennes à l’avenir.

Au passage dans le XXIème siècle, la tentative de constitution européenne via le processus de la Convention Européenne a semblé être, pour nous, une réelle opportunité de transformation.

C’est pourquoi, nous nous sommes mobilisés et avons fait appel pour créer une Convention Agro-culturelle Européenne (CAE). La CAE a collecté les idées et les demandes d’un large panel d’associations et d’ONG. La CAE a ensuite appelé à un changement fondamental des objectifs de la PAC, fixés dans les années 1960, lors des traités européens.

La CAE a été conclue au Parlement européen en 2002. Sous l’égide de Valéry GISCARD d’ESTAING, le CAE a envoyé un appel (dont le texte anglais est disponible ici) aux institutions européennes pour qu’elles saisissent l’occasion de réformer la PAC en y introduisant de nouveaux objectifs juridiquement contraignants. Il s’agissait d’une des rares initiatives de démocratie directe remettant en cause le processus peu démocratique de la Convention européenne intergouvernementale.

La Constitution européenne a échoué, et par la même, raté l’occasion d’une réforme de la PAC plus idoine à l’avenir. Les Européens ne ressentent plus le sentiment d’appartenance à l’Europe et ont développé un réel désamour pour leurs institutions. Ce sentiment s’est traduit, dans les faits, par l’opposition à la ratification lors des référendums en France et aux Pays-Bas. Depuis, une vague de nouveaux nationalismes et d’euroscepticismes s’est répandue sur le continent.

La Convention rurale et agricole (ARC 2020)

Il nous a fallu dix ans pour nous remettre de ce revers.

En 2010, avec l’arrivée d’un nouveau commissaire européen de l’agriculture, le Roumain Dacian CIOLOS, une nouvelle lueur d’espoir est apparue et le moment d’une véritable réforme semblait proche.

S’appuyant sur notre expérience et le réseau de la CAE, la Convention rurale et agricole (ARC2020) s’est agrandie et a atteint la masse critique nécessaire pour mener une nouvelle approche.

Pendant une année, des propositions de réforme de 150 organisations et mouvements de la société civile ont été rassemblées et adoptées sous la forme d’une Communication de la société civile aux institutions européennes sur l’avenir des politiques agricole et rurale.

Nos demandes de changement ont été publiées le jour même où la Commission européenne a révélé sa propre proposition de réforme de la PAC. Nous ne nous sommes pas contentés de réagir, nous avons été force de propositions.

ARC2020 est devenu un acteur fort et visible au cours du débat sur la réforme qui a suivi, en organisant des auditions, des conférences et des débats à l’intérieur et à l’extérieur des institutions européennes.

Malheureusement, la proposition de réforme de la Commission a été progressivement démantelée par le Conseil européen et le Parlement européen, soutenus par le lobby agro-industriel établi.

Face à ce second revers, ARC 2020 s’est repositionnée et a changé de rôle. Nous ne nous occupons plus de la coordination de mouvements citoyens. Désormais, nous offrons aux Européens un lieu de débats et de rassemblements pour façonner l’avenir de l’agriculture, de l’alimentation et de la vie rurale. Nous sommes un groupe de réflexion, une plateforme d’information alternative et une structure d’accompagnement pour les mouvements citoyens.

Des visions pour l’avenir

L’année 2021 et les suivantes seront l’occasion de construire les visions, les stratégies et les actions futures.

En décembre 2020, la Commission européenne a lancé un processus pour élaborer une « Vision à long terme pour l’Europe rurale – 2040 », dans lequel ARC 2020 est impliquée (à consulter en anglais ici). Le résultat de ce processus devrait alimenter la Conférence sur l’avenir de l’Europe.

Nous ne pouvons pas nous satisfaire de visions : 2040 est à des années lumières, beaucoup trop loin ! Les objectifs de développement durable des Nations Unies (ODD) sont fixés pour 2030 et les rapports sur le climat du GIEC exigent une action immédiate. Les dix prochaines années pourraient être notre dernière chance pour limiter le changement climatique et la perte de biodiversité dans des proportions raisonnables. Le sommet des Nations Unies sur le système alimentaire, en 2021, nous donnera l’occasion de nous rattraper et de saisir cette nouvelle opportunité.

Enfin une proposition bien appétissante !

2. Le changement de système

Donc en réalité et au sens strict, l’année 2020 n’a pas été un échec. En effet, un changement de paradigme est en train de s’opérer : le discours public sur les limites planétaires, des mouvements comme « Extinction Rebellion » et les « Fridays For Future ». Ils témoignent de l’urgence à laquelle nous sommes tous confrontés pour limiter le changement climatique, la perte de biodiversité et pour intégrer les différents secteurs et parties prenantes dans un effort commun.

Nous soulignerons l’impact négatif des politiques qui sapent le nécessaire changement de système, tout en rejetant les limites des solutions technocratiques telles que l’agriculture de précision, les OGM et les robots en agriculture.

Nous ferons plutôt pression pour mettre en œuvre des solutions accessibles sur le champ, comme l’agriculture régénérative, la couverture des sols, la reproduction des semences, la rotation des cultures et le renforcement des pratiques agro-écologiques et socio-écologiques locales en pleine expansion qui émergent dans toute l’Europe.

Les agriculteurs engagés dans cette transition méritent d’être connus et reconnus : ils méritent notre soutien.

Une renaissance démocratique

Le changement de système est également une priorité pour sauver l’ensemble du projet européen de la déliquescence.

La prochaine conférence sur l’avenir de l’Europe, risque de ne faire qu’aggraver l’aliénation des citoyens en s’avérant n’être encore qu’un processus mou de consultation ou de convention. Elle alimentera, sans nul doute, la nationalisation et encouragera l’autocratie dans les États membres.

En effet, ce nouveau processus apparaît comme dénué d’engagements clairs vis-à-vis d’un changement de système au niveau des politiques et des prises de décision. C’est pourquoi, nous avons également besoin d’un renouveau démocratique provenant des territoires.

L’euro-scepticisme a conduit à une fermeture mentale contre tous les autres, contre le partage du bien commun, ainsi qu’à une non-volonté de coopérer autour du fardeau de la migration.

Dans nos domaines d’engagement, nous devons dénoncer l’exploitation continue des migrants et des réfugiés notamment dans l’agriculture industrielle. Nous devons aussi nous mobiliser autour de la disparition des paysans, en particulier en Europe du Sud et du Sud-Est.

Nous voulons privilégier une nouvelle culture d’accueil et d’entraide avec nos voisins. Les populations des pays candidats à l’adhésion, comme les Balkans occidentaux, attendent à la porte, souffrant d’une corruption destructrice et de désordres démocratiques. Nous pouvons faire bouger les choses en travaillant avec nos partenaires des parlements ruraux, du réseau PREPARE et du groupe de travail permanent des Balkans occidentaux.

La restauration d’un projet européen exclusif ne suffira pas. Nous devons gagner le cœur de tous les citoyens européens en leur offrant plus qu’une utopie floue et irréalisable et du statu quo.

La révolution française

En 2021, ARC 2020 se lance dans un nouveau projet en France, « Nos campagnes en résilience ».

De nombreuses initiatives voient le jour sur les territoires ruraux et dans le monde paysan. Il nous semble essentiel de les soutenir, de les valoriser, et d’en tirer des enseignements. Nous voulons comprendre les arcanes du retour des jeunes vers la campagne, leurs nouvelles possibilités de travail numérique, les pratiques agricoles solidaires et l’organisation autour de l’accès à la terre, les dynamiques territoriales rurales.

Des mutations encourageantes se produisent sous le regard des décideurs dans les champs, les jardins, les cuisines, les écoles et les entreprises. Elles reflètent un nouveau mode de vie où la sobriété remplace l’idéologie du productivisme et du consumérisme. Nous voulons tirer les leçons de cette nouvelle dimension socioculturelle de l’agriculture et de la vie rurale en France car elle nous semble receler les ingrédients nécessaires pour le changement de système.

Pour une meilleure communication de cette aventure, ARC 2020 se met au français ! Une page du site et des parutions d’articles en français permettront l’accès à tout le public francophone. La barrière de la langue sera dépassée et nous espérons ainsi atteindre une nouvelle dimension passionnante de notre travail.

La roue de vie bouddhique. Photo : Wonderlane from Seattle, USA, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons

3. La régénération

Pour renforcer la résilience politique et faire pression en faveur d’un changement de système, il faut des sources de régénération, en particulier pour nous-mêmes.

L’agriculture régénératrice ou l’agro-écologie ne se résume pas seulement à un passage mécanique de l’agriculture d’exploitation à la culture durable, cela va au-delà et notamment dans une modification de notre rapport à la nature.

Pour ce faire, nous avons besoin de tous nos sens pour établir une nouvelle relation respectueuse avec celle-ci.

Naviguons dans les cycles de vie naturels

Mettre de côté l’approche analytique momentanément et naviguer dans les cycles de vie naturels offre une expérience d’étonnement et d’unité. De nouvelles formes d’éducation et des méthodes d’apprentissage alternatives sont nécessaires pour mener des réflexions hors de nos encadrements sectorisés. Naviguer en politique et dans le changement de système n’est peut-être pas pour tout le monde, mais entrer en contact avec notre propre nature l’est certainement.

Des concepts comme l’agriculture régénérative, la permaculture, l’agroforesterie, la pêche durable sont importants pour garder le cap sur le changement de système. Mais ils sont surtout destinés au cercle extérieur de la transition. Nous avons également besoin de transformation intérieure.

Lorsque nous travaillons avec des animaux, des plantes, des sols ou des semences, lorsque nous cultivons nos jardins ou nos balcons, nous entrons en contact avec l’abondance et la beauté de la vie, ainsi que sa vulnérabilité et ses limites pour répondre à nos besoins. Vivre avec une attitude de suffisance au lieu d’être lié au consumérisme est le type de transformation que nous pourrions rechercher à l’intérieur.

Il y a environ mille ans, le maître Zen Kuòān Shīyuǎn a offert dix cercles de calligraphie Enso pour aider ses disciples à atteindre l’éveil et la libération. Son thème est “le dressage du buffle ou du taureau”. Les vers commentant les calligraphies ressemblent à une promenade que l’on pourrait faire dans une prairie permanente :

Dans les pâturages du monde, je repousse sans cesse les hautes herbes à la recherche du bœuf….

Les vers se terminent par :

Je n’utilise pas la magie pour prolonger ma vie. Maintenant, devant moi, les arbres morts deviennent vivants.

Le cercle de vie

Bouddha a offert le cercle de vie pour symboliser les efforts nécessaires à la pleine compréhension de notre propre nature.

Dans les années à venir, nous ne devrons pas faire du sur-place autour des opportunités perdues et des frustrations, ni tourner en rond autour de nos convictions. Nous devrons être ouverts à la découverte de nouveaux cycles de vie, des changements politiques et systémiques, y compris la recherche de notre propre nature.

Bien sûr, le changement de paradigme que nous désirons ne va pas se limiter aux cercles mentionnés ci-dessus. Il va nous falloir inclure nos critiques au sein de nos réflexions et de nos actions, et de nous permettre de faire contester par leurs points de vues. Afin de naviguer de la manière plus inclusive et plus suffisante ce nouveau tour d’ARC d’ici 2030, nous irons à la rencontre des cercles plus épandues – vers les agriculteurs, les élèves, les enseignants, les éleveurs, les artistes, les réalisateurs, les boulangers, les brasseurs – et à la rencontre de la Nature comme notre lieu de régénération commun.

Les dix années à venir s’annoncent passionnantes.

Cet article a été traduit de l’anglais. La version originelle est à consulter ici.

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