Enjeux de transition | Les territoires ruraux, berceaux de réseaux formels et informels

« Produire et vendre localement » comme « valeur forte », un sens commun pour les paysans rencontrés… Voilà ce que « Nos campagnes en résilience » a pu observer lors des visites de terrain (2020-2022). Au cours des entretiens, nous avons évoqué la place de l’agriculture dans les dynamiques territoriales. Tous les participants agriculteurs ont évoqué le territoire non dans sa définition institutionnelle (avec les frontières administratives) mais le plus souvent dans une logique économique. Plusieurs ont fait référence à ce territoire en le définissant par la zone de vente (ou zone de chalandise) : « je vends dans un rayon de 50 km ». Les relations au territoire sont en premier lieu déterminées par des échanges marchands voire par la quête de nouveaux réseaux de distribution. Quatrième et dernière partie d’une analyse thématique. Rédaction : l’équipe du projet, désormais connu sous l’appelation « Rural Resilience ».

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Les 9 thématiques communes à tous les acteurs ruraux que nous avons rencontrés. Ici nous en présentons 2, les réseaux et les dynamiques territoriales. La toute dernière (alimentation) fera partie d’une prochaine analyse des politiques publiques.

Contexte 

Pendant près d’un siècle, le secteur dit primaire (l’agriculture) devait laisser partir des emplois, « des bras », vers l’industrie ou les services, au nom du « développement », de la « modernité » et du « solde de la balance commerciale », voire exportation de produits agricoles et importation de produits manufacturés et pétroliers. Après plus d’un demi-siècle de PAC, l’agriculture assure encore une fonction économique (par ses emplois non délocalisables), de maintien de commerces de proximité, et d’animation dans les territoires ruraux. La relation des paysans à leur territoire fait à nouveau l’objet de toutes les attentions : via ce que mettent en place les collectivités, d’autres acteurs dont des citoyens pour favoriser la vente locale et développer des circuits locaux de distribution. Rien ne sort de terre par magie : divers réseaux, formels et informels, sont à l’œuvre.

Visite à la ferme de Sonia TONNOT et David PEYREMORTE. Dans l’atelier de maraichage, Jeanine SOCHAS (à gauche sur la photo), bénévole au sein de ce projet, donne un coup de main pour couper des topinambours destinées à la semence. Photo : Valerie GESLIN

Les réseaux formels : Résultantes de l’histoire agricole et rurale

La diversité des acteurs autour de l’agriculture s’est progressivement épanouie, car cette pluralité s’annonce comme essentielle pour bâtir la résilience des territoires ruraux.

Les réseaux institutionnels avec les DRAAF, les DDT, les chambres d’agriculture, les réseaux ruraux

L’Etat a mis en place tout un réseau d’organismes, le plus souvent déconcentrés à l’échelle régionale (DRAAF) et départementale (DDT). Les Chambres d’Agricultures sont quasi incontournables lors de l’installation :

« Ce qui m’a permis d’avancer, c’est le travail avec la Chambre ».

Sébastien BLACHE, GAEC La ferme du Grand Laval (26)

Toutefois, la majorité des agriculteurs porte un regard critique sur le travail mené par ces structures, avec des « clivages entre petits producteurs et gros producteurs », et avec un manque d’adaptation de ces organisations aux nouvelles pratiques agroécologiques et aux autres évolutions. Il en résulte : des injonctions parfois contradictoires ou peu appropriées au quotidien des paysans et de leurs clients. Pour une majorité, les contacts se limitent au strict nécessaire, d’ordre réglementaire.

Les réseaux syndicaux avec la FNSEA et la confédération Paysanne

La Confédération paysanne est largement majoritaire parmi les personnes que nous avons rencontrées. Celle-ci est un porte-voix du quotidien et des problématiques que rencontrent les paysans sur le terrain. Ce rôle de représentation de la profession est essentiel pour rendre compte au niveau des institutions de l’Etat, comme par exemple la SAFER, même si les débats y amènent des points de vue parfois divergents.

Les réseaux à visée opérationnelle

Avec les CUMAs, les associations de remplacement, les associations qui gèrent les outils de transformation (abattoirs), les AMAPs : tels sont les associations où les agriculteurs rencontrés sont très investis. Elles permettent de limiter les investissements en matériels, de créer du lien, de faire circuler l’information, de nouvelles idées de collaboration. A la CUMA de Campbon, l’idée est de créer un atelier de semences et de plants.

La CUMA reste un endroit où tous les agriculteurs se côtoient, quels que soient le type d’agriculture et les opinions : elle s’impose comme un lieu de solidarité et de travail en commun, avec la réalisation de plannings, la prise de décision.

ADDEAR et CIVAM sont aussi deux structures plébiscitées. Ces structures permettent aux agriculteurs d’échanger et d’apprendre sur des thématiques (techniques ou autres), avec l’intervention d’experts. Par exemple pour David Peyremorte, maraicher ferme du Roubion (26), elles représentent des lieux de formation et d’échanges importants, par exemple sur les conditions de travail des salariés, voire d’accompagnement lors de l’installation.

L’implantation et le rôle des CUMA et autres structures d’accompagnement varient en fonction des départements. La pluralité syndicale est un acquis précieux des 50 dernières années.

Photo : Christophe MILOT

Les réseaux plus informels : Incubateurs des propositions d’avenir ?

Autres acteurs impliqués autour de l’agriculture : un patchwork en perpétuelle construction

De nombreuses structures telles que des associations, des référents ruralité, des chercheurs, des écoles, l’INRAE, des collectifs, des agences de territoires, des start-ups travaillent autour des questions de ruralité et d’alimentation/ agriculture. Chacune contribue à l’évolution des territoires et souvent sans cohérence et sans lien entre elles. Le manque de lisibilité de ces structures ne facilite pas un travail de collaboration qui pourrait être mis au service de l’évolution des territoires et de leur agriculture. Ces réseaux permettent de tisser des liens entre territoires et entre secteurs d’activité. Néanmoins, une certaine concurrence : la coopétition, peut apparaître entre réseaux, tout comme entre territoires. Cela réinterroge les finalités de ces réseaux, leurs financements (souvent sous forme d’appel à projets, encourageant parfois les regroupements d’initiatives) et les visions à l’œuvre sur les territoires : qui doit être au service de qui et pour quoi ?

Les réseaux informels de proximité

Les réseaux informels sont nombreux dans le quotidien des ruraux. Peu repérés, ils sont pourtant indispensables. Ils créent une dynamique et donnent naissance à de nombreuses idées. Ces réseaux sont souvent organisés autour de la famille, des amis et des voisins, et en conséquence peu visibles. Ils se fondent sur le lien social préexistant et l’entraide : « Coup de main aux voisins » (Sylvie) ou « copains » (Sébastien), « On travaille ensemble sur les marchés » (Stéphane). En plus de bras supplémentaires, il est question de « fumure de la ferme d’à côté » (Stéphane) ou d’« échanges d’outils » (Fanny) !

Au final, la co-existence de ces réseaux pose de nombreuses questions :

  • Existe -t-il des espaces de débats et d’échanges (malgré la charge de travail omniprésente) ?
    • Comment concilier le travail et la participation aux réseaux ?
  • Sachant que chaque initiative est spécifique, comment assurer une réelle représentativité de ces initiatives au sein de ces réseaux ?
  • Y-a-t-il un nouveau modèle à inventer ? A ré-inventer ? (comme l’entretien des « communs » dans le monde rural !)
    • Le travail bénévole doit-il être « rémunéré » et comment ?

Sur ce point, l’entretien des haies et de chemins offre une belle illustration des dynamiques territoriales.

Photo : Christophe MILOT

Un cas d’école : La gestion en commun de l’environnement des espaces agricoles

Les fermes assurent un service collectif auprès de la collectivité en entretenant les haies, les chemins, et en façonnant le paysage du territoire. Sans cette présence, la collectivité ne pourrait assurer cet entretien. Parfois, les communes mettent en place une aide pour reconnaître le travail effectué, c’est le cas dans les Deux-Sèvres avec la mise en place d’une Charte environnementale :

« Quand j’étais élu [municipal], on avait fait monter une association pour créer une charte sur l’entretien des haies, en se disant que ce n’était pas terrible que les paysans vivent de subventions ! Mais ce qui méritait vraiment une subvention, c’était l’entretien des haies dans les chemins. Tous les habitants en profitaient bien, mais ce sont les paysans qui le faisaient. Donc, on avait mis en place une charte et si les paysans le faisaient en respectant cette charte, ils étaient indemnisés de tant de l’heure de travail  » – Ludovic BOULERIE, GAEC Fournil de la Billardière (44)

A Campbon (Loire-Atlantique), les paysans se sont regroupés à l’initiative de la commune pour réfléchir collectivement à une meilleure répartition des terres afin de réduire leur mobilité. Tout ceci dans le respect de la nature dont la préservation des haies, réservoir de biodiversité -contrairement aux grands remembrements menés par l’Etat. 

L’association « Fermes paysannes et sauvages » mènent aussi un chantier pour développer et faire revenir de la biodiversité dans ces espaces.

En montagne, les agriculteurs jouent un rôle essentiel dans la préservation de la nature avec la montée en alpage et l’entretien des espaces, sans quoi « la nature se refermerait ».

« Il s’agit des pratiques environnementales de l’homme, son rapport à la nature et à l’environnement, au monde dans lequel il évolue »
– Claude VEYRET, association « Ecologie au quotidien »
 

Conclusion : La complémentarité des réseaux, qui dessine le territoire vécu

Quand les agriculteurs parlent des réseaux qui contribuent à leurs activités, le territoire de vie s’ébauche, l’espace où s’exercent ces relations socio-culturelles se dessine. « Les personnes impulsent la dynamique du territoire économique, sociale et culturelle », résume Claude VEYRET. Le bassin de vie : ce territoire vécu, ne correspond presque jamais aux frontières administratives.Pour tous les agriculteurs rassemblés, ce territoire est important et l’implication pour que ces espaces ruraux restent attractifs et vivants, est essentielle. Maintenir un lien social et créer un sentiment d’appartenance à ce territoire, par :

 

« L’approche territoriale qui donne une fierté à ses habitants »

– Hugues VERNIER, ancien responsable du pôle agriculture à la Communauté de communes du Val de Drôme (26)

 

Ainsi, les fermes deviennent des lieux d’accueil et de culture accessibles à tous. Et le territoire vécu s’agrandit vers celui des visiteurs de ces lieux uniques, petits et grands.

 

Nous vous invitons à découvrir la série « Enjeux de transition » dans son intégralité :

Partie 1 : « Face à la guerre foncière, garder les pieds sur terre »

Partie 2 : « La transmission, ou le trait d’union entre les générations »

Partie 3 : « Bien vivre sur son territoire rural : un des moteurs pour expérimenter ?

De 2023 à 2024, ce projet continue. Sa nouvelle appellation, « Rural Resilience », reflète notre souhait de collaborer davantage avec les acteurs d’autres territoires européens, pour être force de proposition collective. Pour sa deuxième phase, nous portons le regard au-delà de la France. Tous ensemble pour un fort impact : cohérence entre politiques publiques dans les zones rurales.

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