Des campagnes heureuses, des endroits où il fait bon vivre… Voilà ce que « Nos campagnes en résilience » a pu observer lors des visites de terrain (2020-2022). Les territoires ruraux fourmillent d’idées et d’innovations : expérimenter est une des formes du “bien vivre ensemble”. Troisième partie d’une analyse thématique. Rédaction : l’équipe du projet, désormais sous la nouvelle appelation « Rural Resilience ».
Contexte
Face au changement de la société, du climat, des enjeux géopolitiques, chacun est vulnérable, et cette vulnérabilité appelle aussi une constante adaptation et une remise en question du fonctionnement et des pratiques. Des territoires ruraux s’en sont saisis comme un levier de développement, en mettant en avant une qualité de vie et de nouvelles formes de travail et de vie en société. La société rurale imagine des fonctionnements nouveaux et des modes de gouvernance où chacun à une place et où l’individu est respecté dans ses besoins et envies.
En portant un regard socio-écologique sur les initiatives de transition agro-écologiques en France, « Nos campagnes en résilience » a fait un choix de méthodes d’aller notamment à la rencontre des GAEC (Groupement Agricole d’Exploitation en Commun). Un statut intéressant pour plusieurs raisons : les GAEC sont ancrés dans les pratiques (des agricultures conventionnelles ou alternatives), et ils ont tenu un rôle social dans la France agricole et rurale des années 80-90 en œuvrant pour l’égalité femme – homme dans la conduite d’une exploitation.
Par cette clé d’entrée, nous avons cherché à savoir comment ils contribuaient à présent aux autres questions sociales et écologiques : la société rurale est en mutation sur le rapport au travail, au lieu de vie et au niveau de vie. Plus encore, malgré les avancées par des expérimentations officielles (ex : Garantie Jeunes, déployée sur plusieurs années par paliers d’expérimentation), l’initiative individuelle très locale reste encore le meilleur moyen de trouver et tester des solutions.
Participer à la vie sociale en s’engageant auprès des publics vulnérables
Les statistiques sont têtues : la pauvreté reste plus présente dans les territoires dits ruraux. Une partie du monde agricole s’engage dans les politiques sociales auprès de publics fragilisés avec des dons aux Restos du cœur, des engagements au sein de la sécurité sociale alimentaire, ou au sein d’épiceries sociales… Une participation à la vie locale pour tenter de réduire les inégalités. Dans le Luberon, l’association « Au maquis » expérimente la venue de personnes de quartiers populaires de Cavaillon à la ferme :
« On cultive avec et pour les personnes en précarité alimentaire. On va chercher les personnes à Cavaillon, et pendant qu’on bosse à la ferme, il y a une équipe qui prépare le repas au café villageois. Puis, on mange ensemble. » – Maud, association « Au maquis »
Chacun contribue à une société plus harmonieuse et solidaire. Cependant, cela suscite les interrogations, notamment lorsque les paysans vendent à très bas prix leurs produits pour participer à l’effort collectif :
« On est conscient que c’est la béquille sur un système qui ne fonctionne pas. On n’aimerait bien s’en passer. Si on les vend moins cher, nous on entre dans la précarité et donc on va venir à l’épicerie sociale car on ne pourra plus vivre de notre métier. Ce n’est pas logique de concevoir l’économie sociale comme cela. Il y a un truc qui m’échappe dans le modèle »
Cette question sociale reste entière et les solutions très locales expérimentées des pansements temporaires.
Mener l’activité agricole en améliorant l’organisation du travail
Les activités agricoles ont changé au cours des 30 dernières années : par les pratiques agroécologiques en expérimentations puis généralisations, les fermes visitées s’affirment comme de véritables laboratoires grandeur nature.
Sur le plan social : Fini les grandes journées sept jours sur sept, désormais le travail agricole est organisé afin de permettre à chacun d’avoir d’autres occupations -que ce soit du loisir, de l’engagement associatif, ou encore du temps familial.
« Un tiers pour dormir, un tiers de temps libre, et un tiers de boulot. Pour la vie sociale, il faut dégager du temps. Dans le monde agricole, un tiers de temps libre, c’est possible si tu fais du collectif. » – Pierre GACHET, GAEC Gachet (73)
Cet équilibre, évoqué comme essentiel, reste un critère lors d’une association ou d’une reprise de terres, aussi important que le salaire perçu. Cette nouvelle perception de l’activité agricole induit une forme plus collective du travail et un fonctionnement pensé et réfléchi régulièrement en fonction des compétences et des envies de chacun :
« On s’est donné des références en fonction des envies et des goûts de chacun » – Ludovic Boulerie, GAEC Fournil de la Billardière (44)
Ces organisations nécessitent de nouvelles compétences :
« On tend vers plus de polyvalence pour avoir plus de congés, une vie personnelle » – Fanny SERRALONGUE, GAEC La Ferme de l’Auberge (26)
Corollaire de la polyvalence : l’autonomie (pour Stéphane AIRAULT), confiance mutuelle et partage des responsabilités (pour Marion et Benjamin HENRY). La charge mentale est ainsi moins lourde à porter et le quotidien plus léger.
L’ergonomie dans l’enchaînement des tâches semble être une préoccupation présente, afin de minimiser la pénibilité du travail agricole :
« On n’a plus envie de se faire du mal et du coup, je trouve qu’on a beaucoup de discussions depuis un an, sur comment améliorer progressivement l’ergonomie » – Fanny SERRALONGUE, GAEC La Ferme de l’Auberge (26)
These farmers are negotiating and sharing organisational systems. They are pooling skills to serve common projects, with an emphasis on quality of life. The innovative systems they have created, by definition vague, lack recognition and resonance at national and European level. The reward? “Live to an old age and in good health”, says Stéphane.
Les systèmes organisationnels sont ainsi négociés et partagés entre agriculteurs, les compétences mutualisées au service du projet commun en mettant en exergue la qualité de vie. Ces systèmes innovants, par définition diffus, n’ont pas de reconnaissance particulière et trop peu de résonance à l’échelle nationale et européenne. La seule récompense : « vivre vieux et en bonne santé », selon Stéphane AIRAULT, associé du GAEC des pierres bleues (44).
Coopérer avec l’aval de la ferme pour maintenir la juste rémunération du paysan
Pour la majorité des 40 paysans visités, les revenus proviennent de la vente directe de leurs produits. Cette vente directe leur permet une certaine maîtrise du prix …un prix qu’ils qualifient de juste. Mais comment le définir ? Une expérimentation a été menée en Loire-Atlantique avec l’Alliance des cuisiniers afin de calculer un prix juste d’un produit. Il est apparu que la variable clé reste, sans surprise, le coût du travail.
En outre, les exigences des uns ne font pas toujours sens pour les autres. Pour certains, les besoins pécuniaires sont peu importants ; pour d’autres, ils sont plus élevés liés à des charges supplémentaires. Comment prendre en compte cette variable dans le prix ? La question reste ouverte…
Néanmoins, la manière d’aborder ce sujet auprès des consommateurs semble avoir un impact et il convient d’accorder une importance particulière à la pédagogie et à la sensibilisation des clients du GAEC. La communication sur le prix est essentielle pour une meilleure compréhension de la structure des coûts d’exploitation. Au-delà d’un revenu plus juste, la vente directe reste une belle opportunité pour les paysans de rencontres et d’échanges avec les consommateurs.
Les paysans rencontrés sont souvent au sein d’AMAP, dès leur installation. Le système d’AMAP représente un réel levier financier pour les paysans. En effet, le système des AMAP assure une avance de trésorerie et quelques petits coups de main de la part des consommateurs adhérents. Cela demande une certaine exigence pour les paysans :
« Dans l’AMAP tu t’engages à fournir 5 ou 6 légumes différents dans l’année, chaque semaine dans le panier, c’est hyper exigeant en termes de planification » – Vincent PEYNOT
Depuis fin 2021, il est noté une baisse de la consommation en vente directe, pouvant parfois représenter 30 % du chiffre d’affaires. Cela oblige les paysans à se diversifier, que ce soit dans la production ou dans l’activité et à imaginer de nouvelles formes de ventes et surtout “ne pas mettre les œufs dans le même panier”. Les compléments de revenus, notamment dans la Drôme, sont liés à l’accueil de vacanciers ou d’activités pédagogiques ou à caractère social. Ces activités demandent un investissement personnel important pour assurer l’accueil et alourdissent donc la charge de travail.
Le revenu dépend aussi du taux d’endettement et de la gestion sobre et affinée de ces GAEC… Aux revenus peu élevés, s’ajoutent plusieurs avantages en nature : les produits frais de la ferme, les trocs entre paysans lors des fins de marché, une habitation au sein ou proche de l’exploitation, des véhicules sur les charges du GAEC.
L’avenir ne pourra qu’être social ou ne sera pas : en mettant en avant le bien-vivre ensemble, nombreux sont ceux qui répondent présents, et qui fourmillent d’idées … à expérimenter.
Ainsi, des tentatives voire des expérimentations plus organisées sont menées pour que les liens soient plus évidents et qu’une entraide, une solidarité puissent se mettre en place, à l’échelle de la ferme ou du bassin de vie.
Cette mise en commun des idées et des énergies nécessitent un temps d’interconnaissance et d’apprivoisement des contraintes et sans doute des facilitateurs de mise en relation et de ponts entre secteurs d’activités.
Nous vous invitons à découvrir les parties 1 et 2 de la série « Enjeux de transition » : « Face à la guerre foncière, garder les pieds sur terre » et « La transmission, ou le trait d’union entre les générations ».
Prochainement dans l’ultime partie de cette série : Les territoires ruraux, berceaux de réseaux formels et informels – quel rôle des dynamiques territoriales ?
De 2023 à 2024, ce projet continue. Sa nouvelle appellation, « Rural Resilience », reflète notre souhait de collaborer davantage avec les acteurs d’autres territoires européens, pour être force de proposition collective. Pour sa deuxième phase, nous portons le regard au-delà de la France. Tous ensemble pour un fort impact : cohérence entre politiques publiques dans les zones rurales.
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