Îles de Résilience 2/2: Amenagement du Territoire et Biodiversité

 

Les falaises de Roussillon, dans le géoparc PNR Luberon. Photo: iStock / ermess

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Les Naturparks allemands et les Parcs Naturels Régionaux (PNR) français, qui s’en sont inspirés, incarnent des territoires de projet plus soutenables, où agriculture plus respectueuse des éco-systèmes et activités touristiques et de loisirs de plein air peuvent coexister (plus sur ça dans la 1ère partie).

Dans cette deuxième partie, dans le contexte du vote de la Nature Restoration Law le 12 juillet 2023, nous évoquerons la trajectoire mieux-disante de certains PNR français, qui, comme des parcs naturels allemands, se sont dotés d’une labellisation de l’UNESCO « Géo parc ». D’autres possibilités pour progresser sur ces questions complexes de la protection de la biodiversité peuvent être présentées : le parc national des Cévennes, unique à de nombreux égards, collabore avec les PNR qui l’entourent pour donner vie à des concepts d’aménagement (durable) du territoire tels que les corridors écologiques.  Une analyse de Marie-Lise Breure Montagne.

Découvrez la première partie de cette analyse

Les Géoparcs 

Une labellisation de PNR pour « la protection et la valorisation des patrimoines naturels et géologiques »

Les PNR (figure n°4 article 1) couvrent 17% du territoire métropolitain français (10 points en dessous des NaturParks allemands : 27%). Même si la fédération nationale des PNR promeut la marque « Valeurs Parc Naturel Régional », ce type de territoires fait parfois l’objet d’une contre-publicité, avec la liste des accidents de pollution et autres projets d’aménagement contradictoires avec les enjeux de développement durable.

Ainsi, dans un documentaire d’une chaîne publique France TV diffusé début 2023, Elodie Martinie-Cousty,  pilote du Réseau Océan, Mers et Littoraux de France Nature Environnement, expliquait sa consternation de voir un projet de construction – et donc d’artificialisation- au cœur du PNR de la Sainte-Baume, démarrer à grands coups d’explosifs. Elle proposait également une relecture des chiffres avancés par le gouvernement : « plus de 30 % du territoire français en zone de protection de la nature . Chacun l’aura noté : pile dans les objectifs de la COP 2015 sur la Biodiversité à Montréal, et avant l’échéance de 2030 pour atteindre 30% des espaces terrestres en mesure de protection. C’est en additionnant des zones avec mesures de protection différentes, – PNR, Natura 2000 hors PNR, PN – que l’on atteint un si joli score !

Dans ce contexte, certains PNR français ont été tentés de rechercher une reconnaissance supplémentaire de leurs atouts naturels (voir figure n°1). Les Géoparcs sont des territoires qui présentent un patrimoine géologique remarquable de valeur internationale. Paysages, roches et fossiles y témoignent de l’histoire de la terre depuis plus de 4 milliards d’années : avec ou sans connaissances géologiques, l’émerveillement est au rendez-vous. Les Géoparcs illustrent également les relations qui unissent l’Homme et la Terre, et le lien complexe entre la nature du sous-sol et le type de biodiversité qui s’y développe. Chaque site d’intérêt géologique ou patrimonial est appelé géosite (cf figure n°2).

Selon C. Portal et I. Aubron avec Pour Magazine en 2022,

« En France, le géoparc du Lubéron fait partie des quatre premiers géoparcs à l’origine de la constitution du réseau européen avec les géoparcs de Vulkaneifel en Allemagne, de Lesvos en Grèce et de Maestrazgo en Espagne. Les territoires candidats au label géoparc doivent s’appuyer sur un réseau d’acteurs déjà existants (parcs, intercommunalités, réserves, sites Natura 2000, etc.) qui, regroupés autour du projet, offrent une structure de gestion opérationnelle »

Le Vulkaneifel, situé dans une zone volcanique allemande, a fait comme le Lubéron ou le massif des Bauges le pari d’une labellisation Géoparc UNESCO :

« La population [du géoparc Vulkaneifel] est d’environ 83 000 habitants vivant dans 180 villages et quelques petites villes. La région rurale est la zone touristique montagneuse la plus importante de l’État fédéral de Rhénanie-Palatinat. Au cours des 30 dernières années, les efforts visant à favoriser le développement économique se sont concentrés sur le patrimoine géologique unique de la région. Le taux d’intensité touristique est de cinq fois la moyenne allemande ».

Le European Geoparks Network recense 94 géoparcs dans 28 pays européens, au sens géographique du terme : inclus l’Islande, la Grande-Bretagne, la Norvège et la Turquie, quatre grands pays riches en merveilles géologiques, non membres de l’UE. On peut y lire que ce sont des « Territoires de Résilience ».

Le périmètre géographique des premiers géoparcs français est souvent calqué sur les limites de parcs naturels régionaux, i. e. géoparcs du Lubéron, Massif des Bauges, Monts d’Ardèche, Causses du Quercy, ou s’y adosse en partie. Les PNR connaissant très bien les patrimoines naturels et géologiques qu’ils renferment peuvent avoir des candidatures facilitées dans le dispositif.

Encore en Pour Mazagine, Portal et Aubron précise,

« Tout comme les parcs naturels régionaux, le label Géoparc est un outil de développement territorial – géo-touristique en particulier – dont les objectifs répondent à ceux des PNR : faire vivre un projet concerté de développement durable, fondé sur la protection et la valorisation des patrimoines naturels et culturels.»

Les deux labels sont donc des outils complémentaires de valorisation des ressources fondamentales du territoire au service du développement du tourisme local, comme le montre l’exemple du Vulkaneifel. Le label Géoparc permet de remonter de deux crans dans la typologie de l’UICN : de la catégorie V pour le PNR à la catégorie III pour un géo-parc, considéré comme un « monument naturel ».

En ayant un label géré au niveau international, comme l’UNESCO, ces initiatives locales peuvent être comprises comme une course à l’attractivité touristique au niveau international, ou au contraire comme une relocalisation de l’émerveillement. 

Le Parc Naturel des Cévennes

« Hot spot » de restauration de la nature depuis plus d’un siècle et de l’impact du changement climatique.

Le parc national des Cévennes a été créé par l’Etat française en septembre 1970 et sa charte a été renouvelée en 2013. Il couvre la région naturelle des Cévennes et est situé principalement en Lozère et dans le Gard mais aussi en Ardèche. Il s’étend donc sur deux régions administratives : l’Occitanie et l’Auvergne Rhône-Alpes.

Le parc national des Cévennes présente plusieurs particularités distinctives des autres parcs nationaux : c’est le seul parc national français situé en moyenne montagne, et c’est donc le seul parc national métropolitain dont le cœur est habité de façon permanente avec de l’activité économique et agricole. Le territoire a très faible densité de population, néanmoins, et une agriculture dite HVN : Haute Valeur Naturelle : cf figure n°3).

C’est aujourd’hui en Europe l’une des régions ayant connu le plus fort enrichissement biologique depuis sa création. Ainsi de nombreuses espèces ont recolonisées naturellement un habitat dont elles avaient disparu, comme la loutre, le héron, le pic noir. Parallèlement, le Parc a réintroduit certaines espèces comme les cervidés, les castors, les vautours et les grands tétras.
Une opération de réintroduction du Gypaète barbu, un vautour manquant dans la chaîne alimentaire s’effectue depuis 2013.
Le parc national des Cévennes a été désigné réserve de biosphère par l’Unesco en 1985 et une partie du territoire protégé fait partie des “Causses Cévennes”, inscrites au Patrimoine Mondial par l’Unesco.

Le parc national a statutairement une vocation à la fois de protection du patrimoine et de la biodiversité, d’éducation des jeunes publics, et de mise en valeur de ce patrimoine à travers des activités humaines – agriculture, exploitation forestière, tourisme – respectueuses de ces espaces naturels remarquables.

Le Mont Aigoual est l’un des deux grands massifs des montagnes des Cévennes après le Mont-Lozère, situé dans la zone cœur du Parc national des Cévennes.
Bien que le sommet à 1565 m d’altitude soit situé dans le Gard, le versant nord coule en Lozère : le Mont Aigoual est l’un des points hauts sur la ligne de partage des eaux entre la Méditerranée et l’Atlantique. Particularité du massif de l’Aigoual : il a été reboisé à la fin du XIX° afin d’arrêter l’érosion et les crues destructrices à son piémont. De cette époque subsiste des forêts domaniales et des arboretums aux espèces rares sous ces latitudes.

La construction de l’observatoire météorologique au sommet de l’Aigoual date de la fin du 19ème siècle. C’est aujourd’hui la dernière station météorologique d’altitude habitée, pour la surveillance des épisodes cévenols. Il s’agit de la forte pluie de fin d’été, quasi tropicale, quand la température de la mer Méditerranée atteint une température élevée ; si la mer Méditerranée chauffe trop, le phénomène ne se produit plus, comme lors de l’année 2022. Les rivières à sec l’été deviennent des torrents en crue (figure n°4)… ou pas.

L’IPAMAC

Un exemple de coopération horizontale et pluri-décennale entre le Parc national des Cévennes et 11 Parcs Naturels régionaux incarnant la notion de trames écologiques

L’IPAMAC, créé en 1998, est un réseau construit bien au-delà des frontières administratives classiques ((figure n°6). C’est pourtant la DATAR (agence gouvernementale de cohésion territoriale, renommée ANCT) et le commissariat du Massif-Central (mis en place par la loi Montagne de 1985) qui avaient impulsé la dynamique, ainsi que le directeur du parc national des Cévennes, et celui du Parc régional du Livradois-Forez, plus au nord. À l’origine, l’IPAMAC regroupait neuf parcs régionaux, puis en 2018, il s’est élargi aux PNR de l’Aubrac et du Périgord-Limousin.

« Le réseau s’est constitué autour de problématiques partagées dont la montagne. Il n’a jamais eu vocation à devenir une représentation politique à un échelon quelconque. Le moteur, ce sont les projets, les réalisations et le fait de contribuer à résoudre un certain nombre de questions que nous avons en commun […] Une des règles que nous nous sommes fixées, c’est que les projets conduits doivent intéresser une majorité des parcs [… ] À l’origine, trois thématiques avaient été repérées : le tourisme, l’aménagement du territoire, et la gestion de l’eau »,

explique Jean-Paul GUERIN, délégué général d’IMAPAC à la revue POUR (2022).

La trame verte (ou en France, Trame verte et bleue) est un concept qui, dans les pays francophones, date des années 1980-1990. Il est en partie issu des travaux préparatoires au sommet de la Terre de Rio en 1992, de l’écologie du paysage et du projet de réseau écologique paneuropéen alors préparé par le Conseil de l’Europe. Il s’agit d’une « politique de préservation de la biodiversité visant à maintenir et à remettre en bon état les continuités écologiques dans les territoires a été mise en place : la Trame verte et bleue (TVB). Elle vise ainsi à freiner l’érosion de la biodiversité résultant de l’artificialisation et de la fragmentation des espaces ». En France, le Grenelle de l’Environnement, établi en 2007, va remettre sur les rails la notion de trame verte et bleue, avec l’objectif de territorialiser la trame verte et bleue française via les schémas régionaux de cohérence écologique, la trame bleue s’appuyant notamment sur les schémas d’aménagement et de gestion des eaux.

Le directeur de l’IPAMAC explique :

« En 2007, nous nous sommes lancés dans une cartographie de la trame écologique du Massif Central, dans le cadre d’un appel à projet du Ministère de l’Environnement. L’objectif était de se doter d’outils de cartographie automatique et de photos aériennes […]. Il fallait stabiliser les méthodes [avec Université et Agence gouvernementale] et trouver leur traduction et leur utilité dans les schémas régionaux de cohérence écologique [SRCE : co-élaboré par l’Etat et la région, aujourd’hui intégré dans le SRADDET]. Assez naturellement, cela nous a conduits à la problématique de la biodiversité. À la fin de ce projet, il s’agissait de se demander quel était le milieu emblématique du Massif-Central … c’étaient « les milieux ouverts herbacés » (MOH), des prairies permanentes aux pâtures ». Ainsi est né le programme MOH visant à influencer les pratiques des agriculteurs. Leurs travaux se sont penchés aussi sur les forêts anciennes et la trame noire pour protéger les espèces nocturnes des pollutions lumineuses.

Le financement de ce réseau transrégional est en partie assuré grâce à des subventions européennes : « Depuis 2016 nous fonctionnons avec des conventions triennales passées avec le Commissariat du Massif Central qui incluent les actions financées à un niveau moyen de 60 %, le reste provenant pour l’essentiel du FEDER [Fonds Européen de Développement Régional] ». (figure 7).

*Note : Les commissariats de massif sont des antennes de l’ANCT (Agence Nationale de Cohésion des Territoires) placées sous l’autorité des secrétaires généraux aux Affaires régionales (SGAR, Préfecture de région = l’Etat en régions), chargés d’assurer le secrétariat et l’animation des comités de massif et d’animer une politique de développement.

La lecture attentive de la zone de travail de l’IMAPAC (figure n°6) montre un trou : l’emplacement du Parc Naturel Régional des sources et gorges du Haut-Allier, qui n’a pas vu le jour. Axés sur des thèmes prioritaires comme l’eau, l’agriculture, l’éco-tourisme, la ligne de chemin de fer, ou bien encore le patrimoine naturel, les travaux préparatoires ont été déboutés par le président de la région Auvergne Rhône Alpes élu en décembre 2015. Dès juillet 2016, le conseil régional décide d’abroger la décision prise par la précédente assemblée de valider le projet du parc, en s’appuyant notamment sur l’opposition de la Chambre d’Agriculture. Malgré une bataille juridique devant le tribunal administratif de 4 années, le projet reste dans les tiroirs. Fait incontournable : les conseils régionaux sont les principaux co-financeurs des PNR et les autorités de gestion des fonds LEADER (autre source de co-financement).

Le président de cette région estimait que le fonctionnement du parc coûterait trop cher. Cette vertueuse préoccupation ne l’empêche pas d’avoir de coûteux projets de nouveaux tracés de routes, pour faire gagner « 3 minutes », projet par d’ailleurs sévèrement critiqué par l’AE, Autorité Environnementale, indépendante.

Quand un élu régional n’aime pas entendre parler de « nature », cela se voit dans ses politiques, calées sur de vieux schémas d’aménagement du territoire : le ruban d’asphalte, comme formule magique du développement rural.

Conclusion

Les géoparcs sont des territoires de résilience. Ils peuvent être l’incarnation d’un possible tourisme de l’anthropocène : où les merveilles géologiques peuvent agir comme un baume sur l’éco anxiété, en relativisant ce qui se prépare. Plus prosaïquement, ils nous indiquent que des territoires européens, dont l’Allemagne et la France éprouvent le besoin de se différencier, en allant vers une labellisation émanant d’une entité “supra” européenne, par exemple l’UNESCO, en gagnant du même coup deux niveaux dans la classification UICN (catégorie V à catégorie III).

En cette année 2023 où l’agenda politique à Bruxelles a été marqué par le vote de la Nature Restoration Law … de justesse, il est utile sinon indispensable de mettre en avant des initiatives de longue haleine comme celle de l’IPAMAC. Si la région Auvergne-Rhône-Alpes est la 2ème région métropolitaine soutenue par le FEDER, qu’une toute petite barre verte y est consacrée à la protection de la Biodiversité et de la Nature. Dans cette Europe des Régions existent des coopérations horizontales et inter-régionales, au-delà des frontières administratives classiques, sur des sujets complexes et essentiels comme la biodiversité.

De 2023 à 2024, pour la deuxième phase du projet « Rural Resilience », nous portons le regard au-delà de la France, vers l’Allemagne, et d’autres pays européens. Tous ensemble pour un fort impact : cohérence entre politiques publiques dans les zones rurales.

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Îles de Résilience : Parcs Naturels en France & en Allemagne

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About Marie-Lise Breure-Montagne 26 Articles

As her family name suggests, Marie-Lise was born and raised in a mountainous and harsh region: France’s Massif-Central (Auvergne).
She studied agronomy and ag-economics in the south of France (Sup Agro - Montpellier). She has spent the last two decades working on territorialized public policies (environment, ecological and climate transition, youthness, solidarity, rurality, …), as project manager in local authorities, and as a trainer. Good preparation for the objectives of phase 2 of the Rural Resilience project, focusing in particular on multi-tiered rural policies, for which she served as project coordinator from February 2023 to February 2024.