« La PAC est une aberration en regard de l’impact climatique et environnemental de l’agriculture »

« Farmtopia », stand de Nestlé au Salon de l’Agriculture, Paris, samedi le 25 février 2023. Photo © Matteo Metta

Samedi le 25 février, le Salon de l’Agriculture démarre à Paris : Au-dessous un maquillage de paysannerie idéalisée, aucun signe de changement chez l’industrie agro-alimentaire. Tout comme pour la nouvelle PAC, qui maintient les pratiques agricoles non durables tout en affaiblissant la cohésion européenne. « L’agriculture du carbone », avancée comme voie vertueuse, ne changera rien sur le fond. C’est trop peu, trop tard, insiste Hannes Lorenzen, président de l’association ARC2020, lors d’une tribune pour Le Monde.

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La Politique agricole commune (PAC) entrée en vigueur en janvier dernier est un dinosaure. Elle maintient des pratiques de production non durables face aux défis du climat et de la biodiversité et affaiblit la cohésion européenne. La Commission européenne a commis des erreurs stratégiques au cours des dernières années. Elle a renationalisé la PAC, au lieu de renforcer sa dimension de pilier de l’intégration européenne et de transformation agroécologique. Elle a cédé aux pressions des États membres en faveur de règles moins communes et de restrictions agro-environnementales peu ambitieuses. Elle a accepté que cette PAC ne soit pas soumise aux ambitions écologiques du Pacte Vert qui fait déjà trop peu, trop tard. En regard de l’impact climatique et environnemental de l’agriculture, c’est une aberration. À croire que personne, à Bruxelles, n’a lu le rapport du GIEC sur l’usage des terres.

Cette PAC sape les engagements en matière de climat et de biodiversité de l’accord de Paris. Si elle reste inchangée, basée sur des subventions pour les combustibles fossiles, les engrais chimiques et les pesticides, si le Pacte Vert ne transforme pas l’utilisation extractive des terres en un système agricole et alimentaire écologiquement soutenable avant 2027, l’accord de Paris perdra sa pertinence et la souveraineté alimentaire européenne sera menacée.

L’UE est structurellement très dépendante des importations d’aliments pour animaux et de denrées alimentaires en provenance de pays tiers dont les systèmes de production ne sont pas durables et pour certains esclavagistes. Parallèlement, l’UE subventionne ses exportations vers les pays émergents et en développement avec un effet de déstabilisation des marchés et d’insécurité alimentaire.

La guerre en Ukraine a révélé cette dépendance avec l’emballement du prix des céréales et de l’huile de tournesol. Les céréales qui ont quitté l’Ukraine ont d’abord été acheminées vers les sites de production de viande européens avant d’être fournies aux régions souffrant de la faim. Sous pression du lobby agro-industriel, notamment le Comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne (COPA) présidé par Mme Christiane Lambert, le réflexe politique des ministres de l’agriculture de l’UE a été de faucher les quelques tentatives d’écologisation comme la rotation des cultures et l’abandon des jachères qui sont désormais labourables. Un non-sens agronomique, écologique et climatique.

Si ce lobby continue de bloquer avec succès toute tentative concrète de la Commission européenne de faire fonctionner un Pacte Vert dans la pratique, ce qui reste de PAC risque d’être annexé aux politiques de cohésion nationales ou régionales sans dimension spécifique agricole ou rurale. Dans cette configuration, contraints par les réalités géopolitiques, si l’Ukraine et les Balkans occidentaux rejoignent l’UE comme promis, il en sera fini de la PAC comme pilier de l’intégration européenne.

La Commission et l’agro-industrie avancent « l’agriculture du carbone » comme voie vertueuse de contribution de l’agriculture à la limitation de l’effet de serre. Il s’agirait de rétribuer les agriculteurs – via le marché du carbone – en calculant à l’hectare ce qu’une culture ou une prairie fixe de carbone (ce qu’elle a toujours fait). C’est un moyen d’une part de faire gagner de l’argent aux propriétaires fonciers et aux accapareurs de terres, d’autre part de continuer les grandes cultures industrielles, sans pour autant d’effet sur le climat et la biodiversité, tout en minant la légitimité de nouvelles subventions de la PAC. Les mêmes gardent la main sur le magot. Il s’agit de ne rien changer sur le fond.

L’UE continue d’être injuste envers la plupart de ses paysans et ruraux, envers les consommateurs et envers ses partenaires commerciaux. L’essentiel des subventions agricoles va à des propriétaires terriens qui n’en ont pas besoin. L’alimentation est toujours plus transformée, moins saine et moins abordable. Les exportations subventionnées et le gaspillage alimentaire subsistent. Les grandes expositions agricoles et alimentaires, la Semaine Verte à Berlin et le Salon de l’Agriculture à Paris, reflètent la rigidité de l’industrie agricole et alimentaire qui s’en tient au business as usual. Les robots, les grosses machines, la food industry se présentent sous un maquillage de paysannerie idéalisée, laissant croire aux visiteurs des salons que les choses sont bien en place et sous contrôle. Aucun signe de changement du système agricole et alimentaire pour le rendre plus résilient et équitable.

N’attendant plus rien de Bruxelles, des agriculteurs, des consommateurs, des conseils municipaux s’emparent des questions agricoles et alimentaires et bâtissent des Politiques agricoles et alimentaires (PAAC) que nous répertorions dans l’ouvrage Rural Europe Takes Action. Ces expérimentations devraient être intégrées à la révision en cours des plans stratégiques nationaux agricoles et inspirer le nouveau cadre de réforme de la PAC annoncé par la Commission européenne pour la fin de l’année.

Cette tribune est apparue dans Le Monde dans l’édition du vendredi le 24 février 2023. Elle est publiée ici avec son aimable autorisation.

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About Hannes Lorenzen 44 Articles

Hannes Lorenzen was senior adviser to the Committee on Agriculture and Rural Development of the European Parliament in Brussels and Strasbourg from 1985 to 2019. Before starting his career in the European institutions, he carried out research, coordination and evaluation work on rural development projects with the Technical Service of the German Government. On the international level Hannes Lorenzen is co-founder of Genetic Resources Action International (www.grain.org) and co-president of the European Rural Development Network Forum Synergies (www.forum-synergies.eu). He is also co-founder of PREPARE, the "Partnership for Rural Europe" network for Central and Eastern European Member States (www.preparenetwork.org), serving as chairman and president until 2016. He co-founded ARC2020 and is its president since 2016. Closer to home, Hannes chairs a local rural development organization on his home island of Pellworm in North Friesland, Germany, which works o organic farming, renewable energy production, soft tourism and nature protection projects in a local dimension.

Hannes Lorenzen a été conseiller auprès de la Commission de l’Agriculture et du Développement Rural du Parlement Européen à Bruxelles et à Strasbourg de 1985 à 2019. Avant d’entamer sa carrière au sein des institutions européennes, il a effectué des travaux de recherche, de coordination et d’évaluation de projets de développement rural au sein du service coopération du gouvernement allemand. Au niveau international, Hannes LORENZEN est co-fondateur de Forum Synergies, réseau européen de développement rural (www.forum-synergies.eu). Il a cofondé ARC2020 et en est le président depuis 2016. Hannes préside aussi une organisation locale de développement rural sur son île natale de PELLWORM, en Allemagne. Cette organisation travaille sur des projets d’agriculture biologique, de production d’énergie renouvelable, de tourisme doux et de protection de la nature à l’échelle locale. Sur l’île il est aussi engagé avec des jeunes agriculteurs dans le développement et la reproduction des semences paysannes en bio et la biodiversité en agriculture. Hannes a toujours vu l’agriCulture française au cœur de l’intégration européenne. L’amour et le respect des français pour leurs paysans et l’appréciation de la “bonne bouffe” ont aussi été une flammèche pour se lancer dans cette nouvelle aventure du projet “La résilience de nos compagnes” de ARC2020. Même si un petit virus empêche Hannes de voyager pour l’instant, il est déjà en route pour rencontrer plein de monde qui bouge pour une transition juste et attirante…