Des lieux de production, mais aussi des lieux de rencontres, de culture. Voici la proposition de Vincent et ses collègues, maraîcheurs à la Ferme de PITOUE, à CAMPBON (44). Malgré une volonté de sortir du salariat, ce GAEC à 2 associés s’est retrouvé finalement avec 3 salariés. Vincent nous partage ses réflexions sur les rapports avec ses salariés, mais aussi avec ses clients, ses Amapiens, et les paysans du coin. Deuxième partie d’une conversation avec Valérie GESLIN.
« Tu ne peux pas rester dans ton coin en agriculture »
Quand on est arrivé, on a pris contact avec la CUMA, c’est un super moyen d’intégration. 42 adhérents mutualisent du matériel et se retrouvent chaque semaine. Chacun tient compte de toi, de tes besoins. Il y a une vraie volonté de soutenir et entraider. On est tous à peu près dans la même démarche paysanne « produire et vendre localement ».
On peut avoir des d’engagements parce qu’on est 5 à travailler sur la ferme et cela a du sens de ne pas utiliser la CUMA comme un service. Ce n’est pas un service, une entreprise agricole où l’on va demander une prestation. La CUMA fonctionne seulement s’il y a de l’engagement et de la participation des adhérents. La CUMA nous évite de lourds investissements, et nous permet de rester dans notre logique de maitrise des charges, de ne pas crouler sous les remboursements à la banque.
Au début, on était dans les groupes d’échanges départementaux mais on n’a pas trop le temps. Nos engagements sont beaucoup plus locaux. Les CIVAM sont des structures pertinentes qui font le lien entre le monde paysan et l’extérieur avec une démarche très ouverte. Elles intègrent les problématiques de société et ne se limitent pas aux questions corporatistes paysannes. On se répartit les engagements entre paysans sur le secteur. Par l’investissement de chacun dans différentes structures et associations, on arrive à faire des ponts, chacun s’investit dans ce qui lui tient le plus à cœur, et partage ses informations avec le groupe.
Les salariés
Au départ, il n’y avait surtout pas de volonté d’embauche. On voulait sortir du salariat, c’était une des grosses motivations et je me retrouve dans une posture de chef ou de patron, ce que j’ai fui. Je l’incarne maintenant, cela me pose problème. Le système n’a pas été pensé comme cela. Tout s’est fait progressivement en fonction des envies de chacun.
Au départ, ce rapport de patron/salariés n’existait pas car c’étaient des copains. Mais, les copains se sont tous installés et on s’est retrouvé avec ce fonctionnement où nous sommes à 5 dont 3 salariés.
Le critère d’embauche, ce n’est jamais la technique, c’est l’envie. C’est un boulot tellement dur physiquement, mal payé et qui demande beaucoup d’engagement qu’il ne peut passer que par de la motivation. Ce boulot n’est vivable que si, humainement, cela se passe bien. Tu peux faire des semaines de 50 heures et être payer entre 1200 et 1400 euros.
L’interdépendance est forte donc il n’y a pas de raison que certains se paient plus que d’autres, on est tous payé au même niveau. Tu bosses sous la pluie, dans le froid, sous la chaleur, tu portes des charges toute la journée et doit maîtriser toute la chaîne pour comprendre comment ça marche. C’est exigeant.
Cela passe par la confiance, la communication, et l’échange. Ce peut être source de conflits et mal vécu. Si on avait les aides PAC des éleveurs, on aurait 10 000 euros par personne, divisé sur 12 mois, on pourrait reverser cette aide aux salariés, baisser le temps de travail lié à l’effort, cela ferait quelque chose de durable. Cela nous pose question d’amener des gens à l’épuisement, la fatigue physique et la démoralisation. On accueille souvent des stagiaires parce que cela nous tient à cœur de transmettre. Beaucoup ont des projets d’installation seul, on fait tout pour les dissuader. Les gens tiennent une dizaine d’années et souvent, ils sont arrêtés par les problématiques physiques.
Le statut de GAEC nous parle car tu as le même niveau d’engagement, le même investissement dans la structure, c’est beaucoup plus simple qu’avec des salariés. Le salarié a fait le choix de ne pas s’installer, donc il n’a pas à assumer la charge mentale, mais il faut que les salariés soient conscients des problématiques. Bosser avec des associés résout cette question.
Ouvrir les portes de la ferme
On veut que nos lieux de production soient aussi des lieux de rencontres, de culture. On a monté une association de propositions culturelles sur les lieux agricoles. On a des bâtiments, des champs, qui peuvent être supports à accueillir ce type d’évènements. Depuis 2011, on tourne sur les fermes et on tente de sensibiliser les gens. A chaque évènement, on fait des panneaux explicatifs sur le lieu où se déroule l’évènement. On est attaché au fait que ce soit aussi des lieux de passages et d’accueil.
Dans la région, on a aussi une grosse problématique de logement. Le prix de l’immobilier explose et on a des professions à petits revenus. On se retrouve avec des gens obligés de se loger à 30 kms d’ici. Ils ont des frais de trajets et cela prend du temps. Ces gens vivent seuls et ne peuvent pas assumer un loyer. Il y a de plus en plus de gens qui vivent dans des conditions précaires. Cela me dérange énormément et amener une mini-réponse par la création d’un camping me plaît. On est en réflexion à notre niveau.
La vente directe pour maîtriser les prix
Nous avons neuf créneaux de vente (3 AMAPS, 3 marchés dans un rayon de 6 kms, 2 restaurants et une bio coop). Ce choix est fait consciemment pour sécuriser notre système. Cela passe par la diversité des créneaux de vente : Si un créneau dysfonctionne, on ne met pas en cause tout notre système. Mais cela se paie par énormément de temps de récolte qui use les salariés parce que la récolte, c’est difficile. On se rend compte que l’équilibre entre le temps de vente et le temps de travail dans le champ n’est pas du tout proportionné. On a pris et assumé ces choix et les salariés en héritent. D’où la réflexion de repenser notre système et de reposer les priorités. On avait tendance à considérer que tout était évident et marchait bien.
L’aspect économique est sécurisé mais cela se paie cher. Cela alimente aussi les questionnements avec tout le réseau local. On peut échanger sur d’autres modèles : on est tous en maraîchage diversifié, mais extrêmement différents dans nos approches économiques, philosophiques. Quand on a une problématique, on sait que quelqu’un l’a résolu, qu’il y a des références. Ici, le réseau est une force et un état d’esprit, c’est bénéfique.
AMAP, un système auquel je tiens
Nous avons 3 AMAP, soit 150 paniers (entre 11 à 24 euros) par semaine. Il faut fournir 5 ou 6 légumes différents dans le panier, c’est hyper exigeant. Tu ne peux pas rater un truc parce que tu ne peux pas aller chercher tes légumes ailleurs pour les mettre dans le panier, tout doit venir de chez le producteur.
L’engagement des Amapiens est très lié à notre engagement. Il faut jouer le jeu et se mettre à la place des gens qui reçoivent le panier. La qualité des relations réside dans la présence systématique du producteur à chaque temps de distribution. Tu ne peux pas demander aux gens de s’engager si de l’autre côté, le producteur n’y est pas.
L’atout de l’AMAP c’est l’avance en trésorerie, enfin, tout est relatif car c’est seulement sur 1 année !
L’engagement passe par de la pédagogie : les gens soutiennent des petits systèmes qui ne sont pas mécanisés, qui ne sont pas fragiles économiquement. Ce n’est pas du folklore, la participation au chantier.
On est sur un système diversifié, on ne peut pas investir dans une machine pour les carottes, une pour les patates, cela passe donc par de la main d’œuvre. La récolte des patates, c’est 120 heures de travail. On passerait 3 semaines à ramasser des patates avec notre équipe et pendant ce temps, on ne fait pas de récolte donc pas de paniers, pas de marchés, et on n’a pas planté. Il faut expliquer les contraintes, ce qu’est le travail, mettre les gens en phase avec la réalité.
Il y a eu un effet d’aubaine pour certains producteurs qui gèrent les AMAPS comme un nouveau créneau de vente sans prendre soin des clients ou des producteurs qui emmènent les beaux légumes sur le marché parce que sur le marché, c’est du visuel, et pour l’AMAP, on met les trucs moches. L’AMAP est un super outil mais il y a trop de producteurs qui ne jouent pas le jeu. Ce qui me plait c’est de donner du sens : j’ai en tête des gens que je connais depuis longtemps et quand je fais la récolte, je sais à qui je vais amener les légumes. J’ai envie de leur faire plaisir.
Pour la suite, on envisage réduire notre activité, cela signifie qu’on laisse de la place à d’autres collègues, Mais cette place, on ne la récupèrera pas, le choix est irréversible. Il va falloir estimer l’impact sur notre vie quotidienne et prendre les bonnes décisions pour toujours être en cohérence avec ce que nous avons envie de vivre.
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