Roumanie | Une dichotomie moderne entre biodiversité et élevage

Comment réussir à gagner convenablement sa vie dans le secteur de l’élevage, tout en préservant la richesse de la biodiversité autour de soi ? Si l’on compare l’élevage moderne, au rythme effréné et à la production intensive, avec la transhumance traditionnelle, cette dernière s’apparente un peu à la cuisson lente en cuisine. Et pour cette recette, les savoir-faire locaux, les bergers et les chiens de troupeau sont des ingrédients essentiels. Paul White démontre ici l’intérêt de trouver un juste équilibre.

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Je fais souvent l’analogie entre la transhumance traditionnelle et la cuisson lente lorsqu’il s’agit de comparer cette méthode d’élevage avec les méthodes modernes, au rythme effréné et à la production intensive. Mais la transhumance a-t-elle toujours sa place dans l’agriculture du XXIe siècle ?

Il est évident que ce débat est très clivant, surtout lorsqu’il est question de la réintroduction d’espèces animales sauvages. D’un côté, il y a la problématique essentielle de la production de nourriture, de l’économie rurale et de nos modes de vie, et de l’autre, il y a la préservation, tout aussi importante, d’une biodiversité foisonnante pour les générations futures.

Mais alors, comment est-il possible de faire de l’élevage en Transylvanie, au cœur de la Roumanie, dans un espace riche en prédateurs sauvages, où les populations de loups et d’ours sont les plus importantes de toute l’Union européenne ? La réponse est tout simplement grâce à la présence de chiens de troupeaux, aussi appelés chiens de berger, dans les pâturages, en prenant garde à ne pas les laisser seuls, sans surveillance.

Les savoir-faire locaux sont une ressource précieuse

Il me semble important de souligner que les grands prédateurs n’ont jamais été éradiqués en Transylvanie. Par conséquent, les éleveurs n’ont jamais perdu les savoir-faire et les compétences nécessaires à la protection de leurs troupeaux.

Ces savoir-faire locaux sont précieux pour les éleveurs occidentaux, mais pour en faire le meilleur usage possible, cela demande du temps et un changement de comportements. Je comprends tout à fait pourquoi les politiques de réintroduction d’espèces sauvages peuvent inquiéter énormément les éleveurs occidentaux. J’ai déjà eu vent d’incidents au cours desquels des troupeaux sans protection ont été décimés par les loups. Il est certain que pour obtenir un bon troupeau de vaches ou de moutons, il faut des années de dur labeur et de réflexion. Les bêtes ne sont pas remplacées aussi facilement que cela et les indemnisations des dommages causés par les grands prédateurs ne couvrent qu’une petite partie des frais à la charge de l’éleveur en cas de pertes.

Le berger, partie intégrante du système

Les problèmes que j’ai pu observer surviennent souvent lorsqu’une partie seulement de cette méthode traditionnelle de protection des troupeaux est adoptée. Par exemple, lorsque la présence de chiens de troupeau dans les pâturages ne s’accompagne pas de la surveillance d’un berger. Oui, c’est vrai, cela économise un salaire, mais à quel prix ?

Les bergers veillent aussi bien sur leurs chiens que sur leurs troupeaux, et prennent soin d’eux. Ils assurent une surveillance étroite de leurs chiens, les nourrissent et corrigent tout comportement inadéquat immédiatement dans le pré. Ils assurent également la sécurité des marcheurs non avertis passant trop près du troupeau, et qui n’auraient pas l’habitude des chiens qui le gardent.

Les bergers font partie intégrante des techniques de dissuasion, sans avoir besoin de fusil. Ils ont une relation de travail très étroite avec leurs chiens et ils viennent en soutien lors des confrontations avec de grands prédateurs. Ceci n’est, bien sûr, qu’une partie de leur travail car ils sont aussi là pour faire la traite quotidienne des brebis et pour fabriquer les fromages.

Les chiens doivent être surveillés

Les chiens de troupeau laissés dans les pâturages pour veiller sur les moutons, peuvent engendrer toutes sortes de problèmes. Les races de chiens de troupeau ont été élaborées par les bergers au fil des siècles, par le biais de l’élevage sélectif, pour que chiens et humains travaillent ensemble. Les jeunes chiens dont les comportements ne sont pas corrigés aux moments opportuns peuvent développer différents troubles anxieux et divers comportements indésirables.

Le berger constitue sa meute de chiens avec le temps. Il ne les lâche pas tous ensemble d’un coup, comme ça, en espérant que tout ira bien. Il est capable de comprendre leurs forces et leurs faiblesses, et il organise sa meute grâce aux connaissances qu’il a de chaque chien.

Sans surveillance, les chiens pourraient s’éloigner du troupeau pour aller chasser et chercher de la nourriture. De plus, un chien avec des troubles anxieux qui n’auraient pas été traités peut représenter un danger pour les promeneurs passant à proximité. J’ai entendu de nombreux témoignages issus du monde agricole moderne racontant comment des chiens ont été mis dans des troupeaux et « laissés à leur sort ». Le résultat était, généralement, une grande déception et l’abandon de cette méthode.

Trouver un juste équilibre

La dichotomie qui se présente à nous est donc la suivante : comment peut-on gagner convenablement sa vie dans l’élevage, tout en préservant la richesse de la biodiversité autour de soi ? L’élevage industriel à grande échelle et les pressions du marché sur les prix sont un autre débat. Ici, je parle plutôt des petits élevages locaux qui produisent de la nourriture biologique de grande qualité.

Je suis bien conscient qu’il existe des écarts très importants au niveau des coûts, des revenus et des modes de vie des éleveurs d’un bout à l’autre du continent européen. Pourtant, si ces éléments sont dépendants des marchés locaux, les principes fondamentaux restent partout les mêmes.

Voici quelques facteurs importants à prendre en compte et qui vont dans le sens de mon argumentation en faveur d’un « juste équilibre » :

1. la transhumance traditionnelle fonctionne en lien avec la nature, et pas contre elle.

2. les alpages ont été conçus pour le pâturage des troupeaux et ont été utilisés à cette fin pendant des siècles. Il existe un vaste réseau de sentiers qui permettent aux populations locales d’accéder à ces prés de haute montagne.

3. les forêts qui entourent ces prés abondent de biodiversité et abritent quelques-unes des plus importantes populations de lynx, d’ours bruns et de loups de l’Union européenne.

4. l’herbe de ces pâturages en altitude est naturellement fertilisée par les troupeaux qui y paissent.

5. la nourriture biologique qui est produite dans ce type d’élevage comprend la viande, le lait et le fromage.

6. les chiens de troupeau sont utilisés pour empêcher/réduire les dommages causés sur les troupeaux par les grands prédateurs.

7. les ânes sont aussi souvent utilisés comme moyens de dissuasion face aux prédateurs, de par leur faculté à donner l’alerte.

8. les bergers restent avec leurs troupeaux et leurs chiens 24 h/24 et 7 jours/7, d’avril à octobre.

 

Traduction française par Elsa Hoffmann.

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