Extrait de livre | Survivre en dessous du niveau de la mer

Vue aérienne des îles de Pellworm et Süderoog à marée basse

L’EUROPE RURALE EN MOUVEMENT – Voyage aux pays des transitions est un livre édité par Forum Synergies, réseau européen de la société civile, et partenaire du projet “Nos campagnes en résilience”. Les responsables d’édition sont Hannes LORENZEN, qui est d’ailleurs président d’ARC2020, et Helene SCHULZE, à l’époque coordinatrice chez ARC 2020.

Dans ce livre, douze auteurs explorent vingt-cinq ans d’expérience collective de Forum Synergies. Ils partagent leurs histoires personnelles de mise en lien de communautés locales, d’agriculteurs, de forestiers, défenseurs de l’environnement et de décideurs politiques pour faciliter la transition vers une Europe rurale plus durable et plus inclusive.

Du Portugal à la Lettonie, de l’Écosse à la Roumanie, des îles aux régions de montagne, vous découvrirez les habitants et leurs lieux, les défis auxquels ils font face et les solutions qu’ils ont trouvées, en tant qu’individus et en tant que communautés locales. Le livre révèle l’importance des connaissances traditionnelles des communautés locales et de l’énergie des jeunes pour progresser vers une économie rurale plus durable et plus sociale. Il montre comment des conflits peuvent être résolus grâce au dialogue et à une communication constructive et comment les stratégies alimentaires locales peuvent même contribuer à améliorer la législation alimentaire.

Inutile de vivre sur une île située au-dessous du niveau de la mer pour comprendre que le changement climatique et l’élévation du niveau des mers vont vous changer la vie. Toutefois, les conflits croissants entre ‘le statu quo’ et la nature menacée apparaissent plus nettement dans un petit endroit reculé comme Pellworm. Les relations conflictuelles entre l’homme et la nature y sont plus perceptibles ; les limites imposées aux ressources et aux entreprises, plus coûteuses.

Dans cet extrait du livre, Hannes LORENZEN raconte l’histoire de son île natale, un territoire fort en résilience. 

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Assis devant la ruche colorée sur l’Hallig (île) de Süderoog, Lorenz, Flora et Alma dégustent une soupe de pommes de terre. Avec notre guide, Knud Knudsen, nous venons de traverser pieds nus les vasières marines de la Frise septentrionale à marée basse. À l’horizon se dessine la silhouette de l’île de Pellworm, un trait de crayon fin entre le ciel et les vasières.

Promenade à marée basse avec Knud Knudsen

La marée se retirant vers les parties plus profondes de la mer du Nord, nous avons mis une heure et demie à traverser dans des vases noirâtres, des ornières marines et des bancs de sable blanc fin, entourés par une joyeuse équipe d’oiseaux marins surexcités : des mouettes, des sternes, des avocettes et des huîtriers.

La vase qui sèche sur nos pieds est aussi noire que les abeilles qui font la navette près de la ruche. Nous apprenons que les abeilles noires ou nordiques sont des espèces menacées et qu’il en reste principalement en Norvège. Elles sont protégées à travers le projet ARK (Arche), de Nele Wree et Holger Spreer. Le but d’ARK est de sauver et de conserver les races domestiques menacées de disparition. Des espèces rares d’oies, de canards et des poules aux couleurs vives se bousculent autour de la ferme. Dans les prés-salés, des vaches et des moutons paissent paisiblement.

Nele et Holger – avec leur fille de deux ans, Fenia – gèrent seuls une ferme biologique insulaire de soixante-deux hectares, au milieu du Parc national de la mer des Wadden. « Nos terres sont régulièrement inondées pendant les tempêtes hivernales », explique Nele. « Il arrive que la mer du Nord vienne jusqu’au seuil de notre salle de séjour. On se sent malgré tout en sécurité. La maison a été construite sur cette petite colline nommée ‘warft‘, à six mètres au-dessus du niveau de la mer. Si la crue monte plus haut, nous nous réfugions dans la pièce de secours, au premier étage. Les étables sont aussi construites un peu plus haut. Le bétail devrait donc être épargné. »

ARK est le nom idéal pour l’initiative courageuse de Nele et d’Holger, qui veulent préserver la diversité génétique agricole dans un endroit aussi reculé. Ils font partie d’un réseau plus vaste d’agriculteurs et d’éleveurs qui protègent les races domestiques menacées de disparition par l’industrialisation de l’agriculture contemporaine.

Nele Wree et Holger Spreer avec leur fille Fenja, sur l’Hallig Süderoog

Vivre en dessous du niveau de la mer…?

Lorenz et ses cousines écoutent, stupéfaits. Je viens de rencontrer ces adolescents âgés de onze à quinze ans lors de notre balade à marée basse jusqu’à Süderoog. Ils sont venus ici seuls. « Nos parents travaillent à Berlin et Bremerhaven et nous venons en vacances sur l’île de Pellworm depuis que nous savons nager. C’était la condition qu’avaient imposée nos grands-parents pour accepter de nous garder. Nous nous retrouvons ici avec toute la famille. On adore cette vie de liberté dans la nature. »

Ils me rappellent l’époque, où, peu après la Seconde Guerre mondiale, l’île de Süderoog appartenait à un couple germano-suédois. Ils accueillaient alors des adolescents, venant de toute l’Europe, pour qu’ils fassent l’expérience d’une vie proche de la nature. C’était un peu comme un programme Erasmus précoce. Quand j’étais petit, en 1964, j’ai séjourné sur l’Hallig et j’y ai appris à pêcher, faire les foins, traire les vaches, fabriquer du beurre et travailler avec des chevaux. C’était drôle de parler dans notre langue imaginaire pour se comprendre car l’anglais n’était pas encore ‘lingua franca’ à l’époque. Plus tard, dans les années 1980, l’Hallig est passée sous le contrôle de l’État fédéral de Schleswig-Holstein. Elle est alors devenue une réserve naturelle et une aire de repos pour les oiseaux migrateurs survolant la région au printemps et à l’automne.

Alma, Flora and Lorenz on Hallig Süderoog 2019

« Est-il vraiment possible qu’une île comme Pellworm soit située un mètre ‘sous’ le niveau de la mer ? », demande Flora lors de notre balade de retour vers Pellworm. Je lui réponds : « Mais oui, bien sûr. Imagine tout simplement que tu poses une assiette creuse toute légère sur une surface d’eau tranquille. L’eau ne rentrera pas dans la partie la plus basse. Mais si une toute petite vague passe par-dessus le bord de l’assiette, cette dernière va aussitôt couler. Contrairement à la maison de Nele, qui est construite sur un ‘warft’ à six mètres au-dessus du niveau de la mer, les terres de l’île de Pellworm n’ont fait que s’enfoncer au fil des siècles. Il a fallu les protéger des inondations par des digues. Celles-ci font maintenant huit mètres de haut. Si Pellworm n’était pas entourée de digues, toutes les six heures, la mer du Nord recouvrirait l’assiette. Les deux îles de Pellworm et Süderoog font partie d’un groupe de petites îles survivantes de la terrible inondation de 1634 qui a tué des milliers de personnes et complètement mis en pièces la côte de la Frise septentrionale. Tout comme les Pays-Bas, avec la plupart de nos terres en dessous du niveau de la mer, nous comptons sur de robustes digues côtières pour nous protéger. C’est d’autant plus important aujourd’hui avec le réchauffement climatique et l’élévation du niveau de la mer. »

La côte de la Frise septentrionale avant les inondations de 1634
…et aujourd’hui, avec les digues et leur année de construction

Nous atteignons les digues de Pellworm. Süderoog n’est plus qu’un petit point à l’horizon. Les ornières marines se remplissent rapidement ; la marée monte. Des moutons à la queue-leu-leu nous dépassent au trot. Ce sont un peu nos sauveteurs de garde. Ils maintiennent l’herbe à ras, ce qui permet aux racines de s’enfoncer assez profondément et empêche la mer de creuser des trous dans les digues. Nous récupérons nos vélos garés derrière les digues et nous disons au revoir. Comme c’est agréable d’avoir rencontré des jeunes si attachés à cet endroit perdu ! « On adore cette vie de liberté dans la nature » résonne encore à mes oreilles, alors que je pédale pour rentrer à la ferme.

Pellworm, Schleswig-Holstein, Deutschland

Evoluer malgré les vents contraires

Sur Pellworm, où que vous alliez à vélo, vous devez lutter contre le vent. Peut-être que le climat a forgé notre tempérament obstiné de Frisons, contre vents et marées. Rien de surprenant à ce qu’à la fin des années 1980, des autocollants « Non au Parc national – liberté pour les Frisons ! » aient orné la moindre boutique, la moindre voiture lorsque le gouvernement régional du Schleswig-Holstein a émis l’idée de transformer la zone plate et vasière de la mer des Wadden en parc national. Les agriculteurs et les pêcheurs redoutaient de subir des contraintes et se sont mobilisés contre la proposition du gouvernement.

Pour nous, groupe d’insulaires aux modes de vie très variés, ce conflit a été une sorte de ’coup de fouet’ et a fait émerger un mouvement citoyen de développement durable. A la façon des mouettes qui prennent leur envol en vents contraires, nous avons puisé dans cet esprit de contestation pour concilier la protection de la faune sauvage avec une agriculture durable et des énergies renouvelables. En 1989, nous avons créé notre organisation à but non lucratif ‘Ökologisch Wirtschaften!

« Nous avons puisé dans cet esprit de contestation pour concilier la protection de la faune sauvage avec une agriculture durable et des énergies renouvelables. »

Ökologisch Wirtschaften! signifie ‘Pour une économie écologique !’. Le point d’exclamation incite à l’action et à un mouvement de transition. Il s’agissait de passer de pratiques agricoles non durables, du dépeuplement et de la dépendance vis-à-vis du continent, à des moyens d’existence décents pour les insulaires, obtenus grâce aux énergies renouvelables, à l’agriculture biologique et un agrotourisme ‘lent’, au sein d’un écosystème unique et fragile.

Nous avons obtenu le soutien de nombreux insulaires et touristes. Mais le processus de transformation n’a pas été un long fleuve tranquille pour autant. Au départ, le maire et le gouvernement local nous ont vus comme des agitateurs et des rêveurs et se sont efforcés de contrecarrer nos ambitions. Mais nous étions tenaces et avons persévéré.

Le Sustainable Mystery Tour arrive sur l’île de Pellworm

Pellworm à la découverte de l’Europe

Nous avions besoin d’alliés pour concrétiser nos ambitions et c’est en Europe que nous les avons trouvés. En 1995, Ökologisch Wirtschaften! a initié le Réseau européen des éco-îles. Nous avons rencontré des partenaires animés des mêmes ambitions de transition pour leurs îles de Hiiumaa en Estonie, d’Alonysos en Grèce, d’Elbe en Italie et de La Palma aux Canaries. Soutenus par l’ancienne présidente de Forum Synergies, Isobel Holbourn, nous avons également instauré des contacts étroits avec l’île écossaise de Foula. Isobel était guide (wildlife ranger) à Foula et partageait avec nous bien des idées pour améliorer le rapport entre les hommes et la nature.

C’est avec l’île d’Hiiumaa que nous avons entretenu les liens les plus forts. Nous avons accueilli une famille estonienne pour partager son expérience de tourisme rural et de conversion à l’agriculture biologique. C’est alors qu’on a inauguré le projet de ‘wool connection’ (connexion par la laine). À cette époque, l’île d’Hiiumaa était libérée de son statut de zone militaire, imposé sous le régime soviétique et l’Estonie se préparait à adhérer à l’UE.

Le projet de ‘wool connection’ devint un acte citoyen pionnier pour un commerce équitable entre les îles. Il faut dire que les agriculteurs ne gagnaient presque rien avec la laine de leurs moutons. Hiiumaa n’élevait pratiquement pas d’ovins mais disposait de matériel de transformation de la laine inutilisé. Nous y avons donc envoyé de la laine. Les machines à carder et à filer ont été réparées et un groupe de femmes s’est mis à filer et à tricoter des pulls, des cagoules et des chaussettes, avant de les renvoyer à Pellworm. C’est ainsi qu’est né le ‘Pellover’! Non seulement il créait du travail et une valeur ajoutée pour les deux îles, mais il est devenu le symbole d’une idée forte : il était possible de créer des marchés et des revenus sur la base de la coopération et du commerce équitable. Aucun gouvernement ni subvention n’ont été nécessaires pour y parvenir. Il avait simplement suffi d’un peu de curiosité et de coopération entre les populations des deux îles.

Rien d’étonnant à ce qu’en 1996, Ökologisch Wirtschaften! devienne également membre de ce qui s’appellerait plus tard Forum Synergies. En 1998, Pellworm fut l’une des étapes de l’exposition itinérante et des rencontres liées au Sustainable Mystery Tour.

L’équipe ‘Pellover’ de ‘connexion par la laine’ entre Pellworm et Hiiumaa

La transition demande du temps

Trente ans ont passé depuis la création de l’association sur notre île. Les grandes transformations achevées par notre génération sont très visibles. Pellworm produit maintenant sa propre électricité à partir de la combinaison de plusieurs sources d’énergies renouvelables : le vent, le soleil et le biogaz. Ce sont les insulaires et non des investisseurs extérieurs qui possèdent les éoliennes, les panneaux solaires et l’usine de biogaz. L’économie locale de l’île profite donc de l’essentiel de la valeur ajoutée. Enfin, nous avons strictement limité le nombre d’éoliennes afin d’en réduire l’impact sur le paysage et Pellworm exporte désormais de l’électricité sur le continent. Il est même devenu populaire parmi nos touristes de souscrire à un abonnement spécial pour consommer ‘l’électricité de Pellworm’ chez eux à Hambourg ou à Berlin. La législation énergétique allemande le permet. Au final, le projet énergétique de notre communauté locale a attiré bien des visiteurs, venus découvrir des systèmes décentralisés de production d’énergies renouvelables.

Le docteur Uwe Kurzke, médecin généraliste sur l’île depuis plus de trente ans, pilote un groupe de travail sur l’intégration de diverses sources d’énergie renouvelable. « Peut-être qu’‘Ökologisch Wirtschaften!‘ a permis d’offrir un logis aux sans-abri », constate Uwe. « Qu’on soit comme moi un nouveau venu du continent ou un local prêt à sortir du rang ne fait pas une grande différence quand il s’agit de lutter contre des vents contraires. Nous étions et sommes toujours en opposition avec la pensée dominante, mais nous formons aussi un pôle d’expérimentation innovante. Lorsque nous avons décidé d’employer notre potentiel local pour atteindre l’indépendance économique et rester proches de la nature, nous avons résolument quitté notre posture de victimes. »

« Nous étions et sommes toujours en opposition avec la pensée dominante, mais nous formons aussi un pôle d’expérimentation innovant. » Uwe Kurzke

Uwe Kurzke aime défier le statu quo. Mais il a également créé des passerelles entre les différents groupes idéologiques sur l’île, en particulier dans les domaines des énergies renouvelables et du changement climatique. « La coopération entre cellules individuelles est la clé du bon fonctionnement et de la survie de notre organisme. C’est également vrai pour notre communauté insulaire. Dans le passé, nous avons dû construire des digues pour nous protéger de la mer. Aujourd’hui nous avons besoin d’un esprit collectif pour unir nos forces et bâtir une économie insulaire résiliente. »

Une séance ‘Fishbowl’ (bocal à poissons) lors du 30e anniversaire de l’association Ökologisch Wirtschaften! en 2018

La terre, les plantes, les animaux et les êtres humains – une même unité

En mai 2018, nous fêtons les trente ans d’Ökologisch Wirtschaften!, avec une semaine de visites de fermes, des tables-rondes et des séances fishbowl (bocal à poissons). Les thèmes choisis concernent tous la transition vers une agriculture insulaire durable. Il est temps de dépasser l’agriculture conventionnelle et biologique et d’appréhender les défis que nous avons en commun. Nous avons choisi la question de la terre, des plantes, des animaux et du rapport que l’Homme entretient avec eux. Nos sols ont en partie souffert de la monoculture et de l’utilisation de matériel agricole lourd. Les plantes sont devenues dépendantes des pesticides et des engrais artificiels et les animaux trop nombreux sur les terres pour maintenir un cycle de nutriments équilibré. Enfin, les trajets à l’abattoir sur le continent sont trop longs. Notre tempérament obstiné d’insulaires ne favorise pas le dialogue, bien au contraire. Nous sommes meilleurs quand il s’agit de parler des autres. Mais il est temps que nous pensions en d’autres termes, celui du ‘Nous’.

Une séance Fishbowl (bocal à poissons)

Une séance ‘fishbowl’ est une méthode d’animation à laquelle Forum Synergies a souvent recours, en particulier lors des grands rassemblements, afin de combler ‘l’écart de pouvoir’ entre acteurs locaux, nationaux et européens. Imaginez un cercle intérieur de participants activement engagés dans la discussion, entouré par le reste du public. Les participants du cercle extérieur peuvent, à leur tour, venir dans le cercle intérieur et s’impliquer dans le débat. La discussion va alors au-delà de la table ronde classique et devient participative. Des règles de jeu complémentaires permettent de surmonter les motifs prévisibles de conflits : on oblige par exemple tous les participants à formuler leur contribution par des propositions positives : « J’ai besoin de soutien pour… » et « Je peux proposer… ». Dans les débats politiques en particulier, de telles règles de dialogue constructif contribuent à créer une dynamique qui va bien au-delà des déclarations stéréotypées, des accusations et de la rhétorique destructive.

« Nous sommes heureux d’être insulaires et de regarder par-delà les digues, vers un futur qui exige une transformation profonde de nos relations », déclare le jeune navigateur Tore Zetl. Il a l’ambition de devenir bientôt capitaine sur le ferry de Pellworm. Il est marié à une jeune femme originaire de la Drôme et fait partie du comité de pilotage sur les perspectives d’avenir de la communauté de Pellworm. « Nos parents ont accompli beaucoup de choses, mais il reste encore tellement à faire pour que notre communauté insulaire soit maintenue à flot et puisse relever les nombreux défis qui nous attendent », affirme-t-il. Ses deux frères travaillent aussi sur l’île : l’un est agriculteur bio, l’autre pêcheur.

Que faire ‘ensemble’ sur l’île pour créer des emplois décents et nous protéger de l’élévation du niveau de la mer, de la dégradation de la fertilité des sols et de la perte de la biodiversité ?

Vue de l’île depuis le haut du phare de Pellworm

Sensibiliser au changement climatique

L’été 2018 est très chaud et très sec. Certains insulaires parlent de l’été le plus chaud et le plus sec jamais observé. Il y a très peu d’herbe pour le bétail, le sol a séché en profondeur et il est extrêmement difficile de récolter du foin ou de l’ensilage pour l’hiver. Est-ce dû au changement climatique ? En plus de la montée du niveau de la mer, nous allons peut-être être confrontés à des sècheresses récurrentes. Nos tables rondes font l’objet d’une attention très forte. Beaucoup de questions demeurent sans réponses et les préoccupations et inquiétudes s’accumulent…

Il y a trente ans, nous n’avions aucune idée de ce que le changement climatique voulait dire. Cette année, Silke et Jörg Backsen, agriculteurs biologiques sur l’île, ont rejoint un groupe d’agriculteurs allemands du continent qui a porté plainte contre le gouvernement fédéral allemand, avec le soutien de Greenpeace. L’accusation vise « l’inaction du gouvernement fédéral contre le changement climatique ». Les arguments sur lesquels elle repose ont suscité un vif intérêt dans le débat public allemand.

Parmi les invités à la session ‘Fishbowl’ figure Bernhard Osterburg, conseiller spécial du gouvernement fédéral allemand. Il travaille à l’Institut Thünen de Braunschweig sur l’adaptation des pratiques agricoles au changement climatique. « Pellworm serait l’endroit idéal pour expérimenter à petite échelle des pratiques agricoles respectueuses du climat », déclare-t-il.

« Pellworm serait l’endroit idéal pour expérimenter à petite échelle des pratiques agricoles respectueuses du climat. » Bernhard Osterburg

Bernhard Osterburg suggère de prendre en compte tous les nutriments circulant sur l’île, y compris les aliments et engrais importés, les engrais verts, le lisier et le fumier. Son idée est que la réflexion doit dépasser les clôtures de nos fermes individuelles. Sur la base de cet équilibre de nutriments, nous pourrions peut-être reconsidérer la densité de parcage des animaux, améliorer la rotation des cultures et mieux protéger les sols de l’érosion et de la perte d’humus. Nous avons effectivement engagé cette expérience en 2019 et devrions disposer de suffisamment de données pour envisager de meilleures pratiques agronomiques, aussi bien dans les exploitations conventionnelles que dans les fermes bio. Au final, nous sommes tous dans le même bateau.

D’autres participants à la table ronde suggèrent de produire des semences en agriculture biologique et d’élever des animaux résistants au changement climatique, et de devenir une autre Arche, comme Süderoog. Nous pourrions aussi raviver les contacts avec le Réseau européen des petites îles (European Small Islands Network – ESIN), dont Camille est actuellement présidente.

Silke Backsen, jeune agricultrice biologique sur l’île de Pellworm et membre d’Ökologisch Wirtschaften!, s’est attaquée au gouvernement fédéral allemand, au motif qu’il n’avait pas assumé ses engagements pour combattre le changement climatique. Avec deux autres familles d’agriculteurs allemands du continent et le soutien de Greenpeace Allemagne, son mari et elle accusent le gouvernement fédéral d’avoir « cessé d’agir pour la protection du climat, sans base juridique ni suffisamment de raisons ou de justifications ». Les plaignants considèrent cette inaction en matière de protection du climat comme une atteinte inadmissible à leurs droits fondamentaux, à « la vie et à la mort », à « la liberté de choisir une activité » et au « droit de propriété ». Ils accusent en outre le gouvernement fédéral d’avoir négligé son devoir de protection des citoyens. En dehors de son métier d’agricultrice biologique, Silke milite pour que la préservation de la nature fasse partie intégrante des pratiques agricoles. Elle s’intéresse particulièrement à la préservation d’une grande diversité de plantes de prairies permanentes, d’insectes et d’oiseaux sur la mer des Wadden et l’île de Pellworm.

Partage de connaissances avec la Drôme

Jochen Haug arrive de Die, dans la Drôme. En visite à Pellworm, il vient partager son expérience des petits abattoirs locaux. Il a créé une coopérative d’agriculteurs afin de sauver un petit abattoir que les autorités voulaient fermer dans sa région. Nous débattons des possibilités d’unités mobiles d’abattage sur les fermes, ce qui éviterait le transport long et épuisant de notre bétail jusqu’au continent.

Toutes ces réflexions et suggestions pourraient bien être les ingrédients de ce que de nombreux insulaires voudraient voir émerger à l’avenir, à savoir une marque déposée de Pellworm. Ceci constituerait une nouvelle base commune avec peut-être la perspective d’une nouvelle aventure de type ‘Pellover’ pour relier à travers notre économie locale les agriculteurs, les restaurants locaux, l’école, la coopérative énergétique, la laiterie, un nouvel abattoir…et des amis de toute l’Europe ?

Je ferme les portes de la grange et de la ferme. Une grosse tempête est annoncée. Si elle s’accompagne de pluie, nous nous en réjouirons ; mais ce ne sera que de violentes bourrasques, sans une seule goutte d’eau pour nos champs.

Les oies sauvages picorent dans les prairies de Pellworm

L’expérience de Pellworm – en bref

Inutile de vivre sur une île située au-dessous du niveau de la mer pour comprendre que le changement climatique et l’élévation du niveau des mers vont vous changer la vie. Toutefois, les conflits croissants entre ‘le statu quo’ et la nature menacée apparaissent plus nettement dans un petit endroit reculé comme Pellworm. Les relations conflictuelles entre l’homme et la nature y sont plus perceptibles ; les limites imposées aux ressources et aux entreprises, plus coûteuses.

C’est non sans scepticisme que les insulaires considèrent les solutions et les investissements qui leur sont imposés de l’extérieur et d’en-haut. Mais Ökologisch Wirtschaften! n’a pas rejeté l’idée d’un parc national et l’association n’a pas non plus retenu ce projet comme un simple complément au tourisme. Ses membres tentent de transformer en énergie de changement tout ce qu’ils perçoivent comme des inconvénients. Pellworm a désormais fait de son indépendance énergétique un nouveau pilier économique pour un grand nombre de personnes et l’association partage fièrement ses expériences dans ce processus de transition avec d’autres îles et d’autres communautés. Face aux défis croissants, expérimenter des solutions pour l’avenir apparaît comme une réponse nécessaire.

Ökologisch Wirtschaften! s’est tournée vers d’autres îles européennes en lançant le Réseau européen d’éco-îles et coopère avec d’autres projets ruraux en Europe via le réseau de Forum Synergies. La communauté insulaire continue à traverser des vagues de succès et de revers, à la fois sur le plan de l’économie, de l’environnement et des relations humaines.

Nous avons appris à nous battre et à accepter le fait qu’il n’existe pas une solution unique, mais qu’il y en a plusieurs. Pendant très longtemps, nous avons dû nous armer face à la mer et il nous faudra agir davantage pour rester à flot. Nous avons besoin d’innovation et d’inventivité, mais plus encore d’un esprit collectif. Notre population vieillit et le secteur agricole se réduit. Nos entreprises locales dépendent de plus en plus du tourisme. C’est une entreprise risquée car la saison touristique est courte, et les infrastructures scolaires, de soins médicaux et de services sociaux requièrent un minimum d’habitants permanents pour être économiquement viables. Pellworm est finalement un bon endroit pour expérimenter le juste équilibre entre survie et avant-gardisme. 

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Une version imprimée du livre est disponible sur demande à Forum Synergies (français ou anglais) sous réserve de contribuer aux frais d’expédition. Veuillez écrire à info@forum-synergies.eu 

La version anglaise de cet article est à consulter ici. Le livre est disponible en anglais en cliquant ici.

 

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About Hannes Lorenzen 50 Articles

Hannes Lorenzen was senior adviser to the Committee on Agriculture and Rural Development of the European Parliament in Brussels and Strasbourg from 1985 to 2019. Before starting his career in the European institutions, he carried out research, coordination and evaluation work on rural development projects with the Technical Service of the German Government. On the international level Hannes Lorenzen is co-founder of Genetic Resources Action International (www.grain.org) and co-president of the European Rural Development Network Forum Synergies (www.forum-synergies.eu). He is also co-founder of PREPARE, the "Partnership for Rural Europe" network for Central and Eastern European Member States (www.preparenetwork.org), serving as chairman and president until 2016. He co-founded ARC2020 and is its president since 2016. Closer to home, Hannes chairs a local rural development organization on his home island of Pellworm in North Friesland, Germany, which works o organic farming, renewable energy production, soft tourism and nature protection projects in a local dimension.

Hannes Lorenzen a été conseiller auprès de la Commission de l’Agriculture et du Développement Rural du Parlement Européen à Bruxelles et à Strasbourg de 1985 à 2019. Avant d’entamer sa carrière au sein des institutions européennes, il a effectué des travaux de recherche, de coordination et d’évaluation de projets de développement rural au sein du service coopération du gouvernement allemand. Au niveau international, Hannes LORENZEN est co-fondateur de Forum Synergies, réseau européen de développement rural (www.forum-synergies.eu). Il a cofondé ARC2020 et en est le président depuis 2016. Hannes préside aussi une organisation locale de développement rural sur son île natale de PELLWORM, en Allemagne. Cette organisation travaille sur des projets d’agriculture biologique, de production d’énergie renouvelable, de tourisme doux et de protection de la nature à l’échelle locale. Sur l’île il est aussi engagé avec des jeunes agriculteurs dans le développement et la reproduction des semences paysannes en bio et la biodiversité en agriculture. Hannes a toujours vu l’agriCulture française au cœur de l’intégration européenne. L’amour et le respect des français pour leurs paysans et l’appréciation de la “bonne bouffe” ont aussi été une flammèche pour se lancer dans cette nouvelle aventure du projet “La résilience de nos compagnes” de ARC2020. Même si un petit virus empêche Hannes de voyager pour l’instant, il est déjà en route pour rencontrer plein de monde qui bouge pour une transition juste et attirante…