Après avoir exercé plusieurs années dans un cabinet d’études industrielles, Stéphane a profité d’une période de chômage pour s’installer en maraîchage sur la commune de VAY, en Loire Atlantique. Installés sur le GAEC Le Jardin des pierres bleues, une ferme de 6 hectares, Stéphane et ses 3 associés, ne sont pas issus du milieu agricole. Deux personnes ont le BPREA, la formation pour avoir le droit à l’installation ou plutôt le droit aux subventions, et les deux autres ne sont pas passés par la formation. Une salariée complète cette équipe.
Grâce à son appétence pour les chiffres, Stéphane nous dévoile les secrets de leur réussite par des calculs permanents et une comptabilité qui oriente les choix. Chaque chose est réfléchie pour que chacun puisse vivre dignement avec ses idées et la nature.
L’équipe « Nos campagnes en résilience » est allé à la rencontre de Stéphane, le paysan à la calculette. Nous vous invitons à découvrir son échange avec la coordinatrice du projet, Valérie Geslin.
Etre associé, une philosophie de vie partagée par tous
Je me suis installé seul en tant que chef d’exploitation. Mais, dès le début, je voulais quelque chose de collectif, d’associatif. A partir du moment où l’on est associé, on est forcément impliqué un peu plus. C’est tout de suite plus facile. S’il y en a un de nous qui n’est pas bien à un moment donné, il y a encore 80% des mains.
Excepté le premier associé, Julien, pour les autres le processus d’association a été long : Julie qui s’est associée en novembre 2015, travaillait depuis 2013 chez nous. Avec le temps, des emprunts qui s’arrêtaient, on lui a dit : « Si tu veux t’associer c’est possible et financièrement cela passe. »
Et puis, Arnaud, le dernier, c’est formidable, c’était un client du marché. On avait plus de légumes à vendre, on lui a demandé : « Est-ce que tu ne veux pas vendre avec nous ? » Il a dit oui. Plus tard, on lui a dit : « Tu ne veux pas venir dans le champ ? Car on a du boulot. » Il a dit oui, et deux ans plus tard, il est associé… Le consommateur est devenu co-producteur.
Nos campagnes en résilience | C’est à nous d’inventer le changement social 1
Des hommes à la place des camions
Quand je vois un camion arrivé ici, je vois une facture. Au lieu que des camions viennent, on a associé une nouvelle personne. Le salaire couvre largement la facture des semences, le terreau et le camion.
On est à 125 000 euros de chiffre d’affaires par an pour 5 personnes donc on doit produire 25 000 euros pour couvrir les salaires et les charges et … Cela fonctionne ! Nous étions, il y a quelques années, à 1700 euros de salaire par mois et par personne à temps plein et les petits avantages (nourriture, voiture, …). On vit très bien, donc pas besoin de produire plus. En 10 ans, nous n’avons plus d’emprunts bancaires. Ce qui est sympathique en maraîchage, c’est qu’il y a peu d’investissement de départ. Si on veut emprunter pour acheter un camion ou autre chose, on va plutôt aller voir des amis, on ne passe plus par les banques.
La question des choix est centrale
Le choix de statuts, le choix MSA, le choix des impôts, tout cela va aligner des choses qui sont dures à gérer si on choisit le mauvais statut. Nous avons le système de micro BA (bénéfices agricoles). C’est assez important. Dès que l’on est au réel, la MSA c’est 7000 euros minimum de cotisations par an alors que, pour nous, c’est 3400 euros. Cela change tout sachant que nous aurons la même retraite. Et en plus, on fait une économie de 2000 euros en se passant de comptable.
On a aussi pu sortir de la TVA parce que nous sommes en dessous du seuil de 44 000 euros de chiffre d’affaires par personne. C’est encore une économie de 3000 euros. On s’en sort très bien si on choisit un bon statut. En maraîchage, on peut faire des bénéfices. On fait à peu près 15 000 euros de bénéfices qui sont souvent remis dans l’exploitation. Nous recherchons vraiment l’autonomie maximum sur la ferme.
Pas de PAC, ici !
Il n’y a pas de Politique Agricole Commune ici. Le choix a été rapide, on ne peut pas cumuler le crédit d’impôt bio et la PAC. Faire un dossier PAC me prendrait du temps et diminuerait le crédit d’impôt. Ce n’est pas intéressant. Moi, j’ai surtout envie que les paysans soient autonomes.
Quand je me suis installé, il y avait 16.7% de la commune qui était en bio maintenant on est à 50%, on pourrait dire c’est super, mais quel bio ? Ce sont des gens en conventionnel raisonné mais un raisonné qui n’est pas si raisonné. Ils sont en train de faire du lait bio, principalement dans notre coin et n’ont rien de changé. En bio maintenant, au niveau de la vache à lait, elle a le droit à deux antibiotiques le temps de sa vie, on a le droit à 50% d’ensilage de maïs. En fait, on fait du lait bio comme le lait conventionnel des années 80 et, avec les normes européennes, on a le droit à des subventions énormes, pendant 5 ans. Et au bout de cette durée, vous n’êtes pas obligés de rester en bio. Vous pouvez faire le choix de retourner conventionnel, cela ne sert à rien.
Et concrètement sur la ferme, comment cela se passe ?
On a un jardin collectif, sinon on ne pourrait pas prendre de vacances, et nous, on a 9 semaines de vacances tous les ans. Ici, tout le monde est dans les champs et autonomes sur presque toutes les tâches mais la comptabilité, c’est moi que cela regarde. J’adore la calculette. On fait une moyenne de 40H00 par semaine voir un peu moins l’hiver. Nous embauchons un salarié qui représente 70% d’une personne à temps plein par an.
On embauche à chaque période de vacances et du 01 avril jusqu’à fin août, à temps plein. On essaie de trouver une personne, on se débrouille tout seul : Des copains qui sont au chômage, des intermittents, Il y a un bon réseau dans le coin. Le salariat apporte, parfois, des gens qui ne sont pas forcément tous responsables. Ils ne comprennent pas comment ça marche, ils n’ont pas le même temps que nous et demandent à être plus payés que le SMIC mais ce n’est pas toujours possible malheureusement.
Nous cultivons sur trois hectares et demi de plein champ et 3600 mètres carrés de serres froides. Tout le monde sait tout faire mais chaque personne a une responsabilité. C’est un choix de chacun.
Par exemple, Julie et Jade ont plutôt envie de faire les plants. Cela s’est fait comme cela avec les affinités de chacun. On a des mains qui sont disponibles pour travailler sur les plants en début d’année au moment, où on a moins besoin de mains dans le champ. Mais, à partir du mois d’avril l’herbe commence à pousser, les plants ont moins besoin, les deux ou quatre mains vont donc passer dans le champ et l’économie se fait là aussi.
On fait une cinquantaine de légumes différents voir plus. S’il y en a qui ne fonctionne pas ou moins, ce n’est pas grave. Cette année, on ramasse trois tonnes et demi de patates, c’est très peu pour la quantité. Mais, on s’en fiche car les fruits, les poireaux sont beaux, les carottes sont belles. On ne met plus un produit chimique depuis 2012. Il y a un moment donné quand la courgette attrape l’oïdium, c’est le cycle normal. Elle est en train de vieillir et se fait attaquer. Ce n’est pas la peine de traiter, on ne va pas la sauver. Si on travaille dessus avec un produit, le temps de travail coûte cher et, plutôt que de vouloir sauver une culture et d’aller au bout du bout, on va aller faire autre chose. On va se concentrer sur ce qui va être efficace.
Même dans le choix des quantités, on a évolué sur les volumes à produire pour faire un chiffre d’affaires qui puisse faire vivre tout le monde. Si une année on manque de carottes, on pourrait se dire « l’année prochaine on met deux ou trois planches de plus pour être sûrs ». Et bien non, on ne va pas faire cela car sinon, on va devoir salarier du monde. En plus, il va falloir travailler plus. On va se débrouiller avec cette quantité et tout ira bien. On partira en vacances quand même.
En comparaison avec des gens qui veulent faire de la permaculture, ça marche bien dans un jardin de particulier mais, dès qu’il faut aller sur un peu plus de surface et tenter de produire plus, ça fait beaucoup de main d’œuvre, de temps de travail à passer. Nous, on va travailler avec des toiles tissées, on fait des trous dedans, cela fait treize ans qu’on les a. Il y a des choix techniques à faire au début.
Nos campagnes en résilience | Cultiver, habiter et vivre en respect des Hommes et de la nature
Les semences
J’ai plusieurs fournisseurs de semence. Avec le temps, on garde une habitude, mais plus ça va, plus on fait nos semences. On fait de la semence de haricots verts, de mi-secs et de courgettes parce que c’est facile, et qu’il n’y a pas de croisement.
A chaque fois, j’essaie de réfléchir : « Est-ce que ça me prend du temps et par rapport à ce qui se vend dans le commerce, est ce que je vais travailler plus que le coût de la facture ? » J’ai pu comparer entre le temps de travail et les semences à acheter et, c’est certain qu’il vaut mieux que je la fasse plutôt que de l’acheter.
Après, il y a des choses où l’on ne peut pas produire nos semences parce qu’on en utilise tellement peu que cela serait trop compliqué. On produit aussi les plants maraîchers en totalité depuis 2015.
De moins en moins de fumure et beaucoup plus d’engrais verts
On utilise à peu près 45 tonnes de fumure de bovins. On a plutôt une tendance, dans les dernières années, à en mettre de moins en moins. En production, il n’y a pas ce besoin d’être dans les chiffres du monde agricole général pour s’en sortir.
Je préfère planter 3000 céleris et en avoir des petits plutôt que d’en planter 2000 et d’en avoir des gros. On va plutôt tirer vers un maraîchage végétarien.
Quelques phrases ont été modifiées par ARC 2020 pour faciliter la compréhension.
Dans la deuxième partie de cet entretien, qui sortira prochainement, Stéphane expose son calcul de « plus on est nombreux, plus on vend ! » tout en racontant l’impossibilité pour les paysans de se passer de la politique.
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