Au sein de Nos campagnes en résilience, nous avons, à plusieurs reprises, croisé Xavier Hamon, un cuisinier pas comme les autres. Xavier réinvente le métier de cuisinier et contribue à l’évolution de ses pratiques. Grâce à l’Alliance Slow Food des Cuisinier·e·s et à l’Université des Sciences et des Pratiques Gastronomiques, Xavier met son petit grain de sel pour bousculer les habitudes. Il contribue à l’évolution de la question alimentaire. Il apporte de nouveaux piments dans les saveurs de la transition. Nous avions envie d’en savoir un peu plus sur son parcours, ses valeurs et ce qui l’anime. Entretien avec Valérie Geslin.
« Je vais te raconter ma rencontre avec le monde paysan et la façon dont cette rencontre a changé mon métier et m’a poussé à un engagement politique »
J’ai grandi dans la ferme de mes grands-parents, dans les Côtes d’Armor. Je me voyais bien en faire mon univers de vie. Mais, mes parents n’ont surtout pas voulu que je fasse ce métier. L’opposition familiale a bien fonctionné, je deviens cuisinier. En 1987, dans ma formation hôtelière, on ne m’a jamais parlé d’un paysan, de l’origine des produits, d’une race, d’une espèce de poisson. Par contre, on a beaucoup insisté sur la noblesse du métier de cuisinier à travers sa technique, ses cuisiniers d’apparat, la gastronomie : Tous les prestiges liés à la table et à l’art de vivre à la française. Après quelques expériences professionnelles en restauration et pour un tas de raisons différentes mais essentiellement humaines (violences quotidiennes, insultes, rabaissements, compétitions et conditions de travail), je quitte le monde de la restauration.
Mais, quelque temps plus tard…
Je reviens à la restauration en créant mon propre restaurant, avec mes propres codes : J’avais besoin de savoir ce que je mettais dans mon assiette, comment c’était produit et qui le faisait. Et, dans qui le faisait, il y a des transformateurs, des fromagers qui ont des savoir-faire et qui peuvent m’expliquer d’où cela vient et comment à travers leurs convictions, ils en font un outil de développement de leur propre existence. Je passe beaucoup de temps avec des paysans et vois assez naturellement l’association du métier de la cuisine et du métier de producteur car, en tant que cuisinier, je peux apporter des idées de transformation et de valorisation de leurs produits.
Mon restaurant est situé en plein centre-ville de BREST, en Bretagne. Je suis à l’aise dans la rencontre et, seul, un comptoir me sépare du client. Ma relation et mon discours auprès des clients sont faciles, je peux leur expliquer : quand tu viens chez moi et que tu prends un menu à 17€ derrière il y a les paysages, l’environnement, la race, la richesse, le plaisir que j’y prends mais il y a aussi des gens qui n’en vivent pas et toi, est ce que cela te satisfait ? En faisant cela, je commence à explorer ma propre activité, mon propre cheminement, je suis en train de me précariser à force de travailler et de ne jamais discuter le prix, d’essayer de salarier les gens correctement, de rendre accessible les repas. Je gagne 600 euros par mois.
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La question de la rémunération n’est pas une question
Avec les maraîchers ou avec les éleveurs, les pêcheurs, c’est : « on s’est engagé sur cette voie là parce que c’est la seule voie pour nos enfants. » même si tu n’es même pas capable de chauffer la maison de tes gamins, l’hiver. Mais, cette question de la rémunération évolue dans le temps.
Pour moi, la chose la plus difficile jusqu’en 2017, c’est que je n’ai pas réussi à travailler avec les paysans. On a travaillé parallèlement. J’ai regretté de ne pas avoir associé les producteurs à ce restaurant pour assumer ensemble les choses. J’aurai dû monter ce projet sous forme coopérative : Essayer de trouver une économie pour continuer à se renforcer, comment cette valeur ajoutée bénéficie à tout le monde plutôt que de chacun faire une facture pour avoir une valeur ajoutée sur chaque chose et bien, on met tout en commun. Il y avait, sans doute, une expérimentation à faire.
« Le romantisme paysan »
Pour pouvoir continuer à réfléchir et travailler avec les paysans, je commence à chercher des réponses politiques. Je l’ai trouvé partiellement dans le mouvement slow food, où je comprends que ce n’est pas moi, cuisinier tout seul qui va y arriver. Ce n’est pas le monde paysan tout seul qui va y arriver. Mais que c’est bien une question alimentaire et pas une question agricole qui se pose à tous.
Je commence à décrypter ce que j’appelle « le romantisme paysan »: Comment on se complaît dans des attitudes corporatistes, un repli sur soi au prétexte que c’est la seule voie possible pour continuer à vivre en accord avec ses principes moraux. Je me rends compte que bien souvent, nous sommes sur des affaires de représentations. Historiquement, la valeur ajoutée c’était le travail de la ferme : on transformait, on vendait, toute la valeur ajoutée revenait à la ferme. En fait, il y a tout un courant de l’agriculture paysanne qui dit que ceux qui transforment les produits nobles sont des usurpateurs et piquent la valeur ajoutée. Ils ont besoin d’un cuisinier pour leur prendre leur savoir-faire mais ils n’ont pas forcément envie de développer l’histoire avec eux.
Pour moi, il y a une connotation corporatiste, romantique qui empêche tout travail politique sur l’émancipation.
Université des sciences et des pratiques gastronomiques
Dans le projet d’université, on a plusieurs fonctions : formations, recherches sur des sujets qui nous préoccupent, sur les métiers de la cuisine par exemple : pourquoi ce métier est-il si « indécrottable » sur les conditions de travail, sur la violence…On en débat entre cuisiniers depuis une dizaine d’années et cela ne change pas. On a besoin d’un autre regard, que les sociologues et d’autres personnes des sciences humaines s’en emparent avec nous.
Il y a aussi le volet « faire université avec la population » : on interroge les personnes dans la ville ou sur la place du village, on y réfléchit à plusieurs, on en fait de la matière, et on la retransmet. Dans la partie formation, comme dans la partie faire université, tous les sujets sont faits avec les paysans avec lesquels j’ai travaillé pendant 15 ans. Quand j’imagine un module sur la cuisine végétale, par exemple, je mets autour de la table un maraîcher, un producteur de semences, un agronome, un ingénieur, un cuisinier, un formateur et on va construire le contenu : « Qu’est-ce que, vous, en tant que paysan, vous voulez qu’un cuisinier sache ? » Cela donne des modules de formation que j’aurai été incapable de formuler seul. Quand un maraîcher me dit qu’il veut qu’il sache ce que c’est d’arracher des choux en février sous la pluie. Il faut trouver quelque chose pour le transmettre. Finalement, le projet d’université a permis de cristalliser tout ce que j’avais semé avec les copains pendant des années.
Sur la partie université, je peux aussi aller sur le terrain faire des enquêtes de terrain, je ne suis pas chercheur. Je vais sur le terrain et on choisit des sujets d’enquêtes avec certains producteurs. Par exemple, on est en train de faire une enquête comment tu te débrouilles pour articuler tes convictions, la réalité économique et l’environnement ambiant, en Bretagne, terre de l’agro-alimentaire ? Cela nous donne de la matière et on va voir ce que l’on en fait après.
Quelques phrases ont été modifiées par ARC2020 pour faciliter la compréhension.
Prochainement, lors de la deuxième partie de cet entretien, Xavier Hamon nous amène dans son parcours « slow food » en partant de la Fête de la vache nantaise, pour arriver au Consortium de l’alimentation durable ainsi que son tout nouveau projet de restauration sur ferme.
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