Redécouvrons les haricots pour reprendre le pouvoir sur notre alimentation

Xavier Hamon (à droite) lors de la rencontre européenne « Nos campagnes en résilience » organisée par l’association ARC2020 avec ses partenaires à Plessé (44), en octobre 2022. De gauche à droite : Katrina Idu (Forum Synergies), Terezie Daňková, paysanne tchèque, and Louise Kelleher (ARC2020). Photo: Adèle Violette

Samedi 22 avril 2023, le réseau européen Global Bean, dont est membre l’association ARC2020, proposait l’organisation simultanée d’évènements consacrés à la diversité des légumineuses sur plusieurs territoires européens et au-delà (Albanie, Allemagne, Espagne, Autriche, Éthiopie, France, Kenya et Grèce). Nous participions via l’organisation d’une “Faites du Haricot” à Castelnaudary (Aude, France) rassemblant plusieurs partenaires de notre projet Seeds4All

Seconde contribution proposée par notre association : Xavier Hamon, artisan-cuisinier, président de l’Alliance des Tables Libres et Vivantes (anciennement l’Alliance des cuisinier.e.s, partenaire du projet Rural Resilience) et directeur de l’Université des Sciences et des Pratiques Gastronomiques (autre partenaire du projet), est intervenu en ligne, livrant une tribune politique dans laquelle il s’interroge : Si nous sommes tous d’accord pour reprendre le pouvoir sur notre alimentation, de quoi avons-nous besoin ? 

Paroles : Xavier Hamon

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Chers Partenaires,

Je suis chargé de vous présenter un angle politique de la question des semences et des haricots. Je suis très fier que l’on demande à un cuisinier de proposer une pensée politique, cela veut dire que le regard sur notre métier commence à changer et que la vision de l’Alliance des Tables Libres et Vivantes commence à être entendue. Nous ne sommes plus seulement des faire valoir et des éléments de promotions territoriaux. Je mesure le chemin parcouru et je remercie déjà les organisateurs pour leur confiance.

Moins d’histoire de haricot donc et plus de culture et de politique

Avant de commencer et pour être sans ambiguïté, les cuisinier.e.s que je représente militent tous pour une autre alimentation, une valorisation des légumineuse, des céréales, pour une végétalisation des assiettes, un abandon de l’élevage industriel, un soutien aux élevages extensifs adaptés.

« Faites du haricot! » Une de nombreuses rencontres organisées à l’occasion du Global Bean Seed Festival: dans ce cas, une invitation de la  part du projet Seeds4All avec ses partenaires, à Castelnaudary (11). Photo : Adèle Violette

Une histoire culturelle et politique avant d’être une histoire de haricots

Pardon de citer beaucoup l’exemple français, mais c’est celui que je connais le plus et peut être celui qui offre le plus grand écart entre des projets de transitions aboutis et l’horreur de l’agro-business et de l’alimentation de très mauvaise qualité.

En France, dans le monde de la cuisine , dans un pays qui s’autoproclame le centre du monde gastronomique, seules quelques personnes sont autorisées à prendre la parole sur les métiers qui nous nourrissent.

Ainsi le discours dominant, l’hégémonie culturelle au sens d’Antonio Gramsci, s’impose à tous. Ce discours dominant ne peut émerger sans des complicités.

  • Les intérêts électoraux avec des élus en premier lieu, très friands de s’afficher avec les « Chefs » de leur territoire pour des opérations de communications institutionnelles.
  • Ensuite viennent les intérêts touristiques via les agences de prescription touristiques, qui vendent du rêve gastronomique pour promouvoir un tourisme de masse qui n’est plus soutenable.
  • La presse française est elle-même très friande de ce discours hégémonique, la télévision, la radio, les journaux et magazines regorgent reportages sur le bien manger en France, la gastronomie, l’art de vivre et le génie culinaire français.

L’hégémonie culturelle ne correspond pas à la réalité et cette vision des « chefs » représente moins de 1% de la restauration en France, le reste étant confiée à l’industrie agro-alimentaire et la restauration rapide qui induisent des emplois sans qualité et la disparition des métiers qui travaillent avec le vivant.

Tout ceci se traduit par une désertion du personnel des cuisine et des restaurants car en plus, la réalité des conditions de travail est tellement terrible que plus personne ne veut pratiquer un métier. Comme ils disent : « Business as usual ».

C’est là que la restauration trouve la solution avec « l’agro-business » qui répond parfaitement au « food business » avec la complicité historique des grands chefs français qui ont tous participé au développement de l’industrie agro-alimentaire.

Le parallèle à l’agriculture est très évident. Il existe aussi un discours hégémonique qui ne laisse pas beaucoup de place a ce que vous faites tous au quotidien. La gestion des questions agricoles et alimentaires se fait dans les bureaux du ministère de l’agriculture ou lors de l’assemble général du plus gros syndicat agricole du pays. Sentant les profonds changements de la société remettre en cause leurs modèles écocidaires et socialement inacceptables, l’hégémonie culturelle agricole passe aussi par la fiction, le récit, le greenwashing, la RSE, les médias, les élus pour rassurer les consommateurs et qu’ils continuent de se nourrir dans la grande distribution alimentaire.

Rapport au vivant

Dans les deux cas, celui de la gastronomie et celui de l’agriculture, nous constatons les mêmes pertes :

  • La disparition des métiers au profit d’opérateurs industriels
    • Un métier articule en permanence, les savoirs faire, l’environnement, le climat, une vision globale et un rapport aux humains, au vivant qui oblige à une adaptation permanente pour maintenir un équilibre social, économique et culturel durable
    • Un travail d’opérateur ne demande pas de vision globale, il demande uniquement d’ exécuter des tâches, d’appliquer des procédures pour maintenir uniquement un principe de rentabilité économique
  • La perte des savoirs faire alimentaire. C’est un enjeu majeur pour remettre les haricots au cœur de notre alimentation :
    • les sélectionner,
    • les produire,
    • les récolter,
    • Les conserver,
    • les transporter,
    • les cuisiner
  • La perte de lien au vivant :
    • Toute l’histoire de l’industrialisation de notre alimentation a été de nous couper, du sol, des métiers, d’automatiser et ainsi de nous couper du vivant et donc d’éloigner les hommes et les femmes des réalités agronomiques et alimentaires
  • La question de la décision : les espaces de c=décision du contenu de notre assiette nous échappent, nous n’y sommes pas présents
  • La perte culturelle : La standardisation a appauvri la biodiversité, qu’elle soit sauvage ou cultivée et avec elle toutes les histoires des plantes, des graines, des haricots liés aux particularité des territoires. Tout ce qui fait culture et qui nous permet de faire société notamment.

Cette culture des haricots a toujours mêlé des croyances, païennes ou religieuses, des conditions agronomiques, des histoires de migrations, des besoins alimentaires pour constituer des cultures communes et vivantes

Cette culture commune permet aussi des formes d’intelligences sociales que les fêtes populaires incarnent très bien.

Sans ce rapport au vivant, sans ces rapports aux autres et une culture partagée, il n’y a plus de vie en société. Les haricots portent aussi cette responsabilité culturelle

De quoi avons-nous besoin ?

Les savoirs, nous les avons, faire la transition on sait faire, mais pour se donner les moyens de passer du militantisme à un vrai développement de filière, le chemin est encore long.

Si nous sommes tous d’accord pour reprendre le pouvoir sur notre alimentation, de quoi avons-nous besoin ?

Ingrédients :

  • Une très grande diversité végétale et donc la remise en culture de centaines de variétés de céréales et de légumineuses adaptées aux différents sols mais aussi adaptés aux différents régimes alimentaires, aux goûts
  • Une reconquête culturelle des haricots par le goût, les échanges culturels, les apprentissages mutuels, la transmission de savoirs
  • Reconquérir le foncier agricole et accompagner l’installation de producteurs de légumineuses
  • De créer des établissements semenciers régionaux ou locaux pour renforcer l’adaptation aux changements climatiques et échanger les semences
  • Former les producteurs, les semenciers et les cuisiniers
  • Modifier les programmes de formation scolaires et professionnelles (agricoles et hôteliers)
  • Lutter contre les nouveaux OGM, les brevets sur le vivant
  • Rémunérer le travail de ces filières, réorienter les budgets communautaires
  • Sortir d’une vision romantique, tenir compte du vécu de nos concitoyens
  • Financer les entreprises engagées dans le rapport au vivant
  • Taxer les agricultures et productions alimentaires les plus dégradantes
« Faites du haricot » à Castelnaudary (11). Photo : Adèle Violette

Un sursaut à soutenir

Avouons que si nous sortons un peu la tête de nos histoires passionnantes, nous ne vivons pas dans un monde qui se préoccupe de l’intérêt général mais plutôt un monde capitaliste qui reprends nos arguments à son propre profit dans un rapport plus proche du transhumanisme que du vivant.

La résistance que nous opposons tous à ce système démontre un trait important de la caractéristique humaine. Il nous reste encore un instinct de survie, une trace de notre cerveau reptilien qui nous invite à résister, nous héritons aussi de l’histoire des luttes passées et des victoires sociales

L’histoire se répète du côté des dominant ou le transhumanisme fait écho au mouvement futuriste des années 1920. De notre côté nous sommes aussi héritiers de résistances passées pour nous ancrer dans le vivant et remettre l’humain en position de décider pour lui. Les mouvements politiques après la seconde guerre mondiale et les conquêtes sociales qui ont suivies jusqu’aux années 1980 montrent d’autres voies.

Pour sortir du modèle existant, nous avons certainement besoin de porter des ambitions plus grandes, collectivement. Nous avons sûrement besoin d’être plus nombreux et à eux seuls les « petits modèles » ne sauveront qu’eux-mêmes pas l’intérêt général ni les dégâts de l’alimentation.

Face à la résistance, des acteurs qui ont un pouvoir dans les institutions

Face à nous, deux actualités récentes nous permettent de voir le chemin qui nous reste à parcourir :

  • Durant l’été 2021, le gouvernement des pays bas prends des mesures pour respecter ses engagements européens sur la réduction des composés polluants issus des élevages intensifs. Ces mesures se traduisent par une baisse de 30% du cheptel du pays. La réaction est immédiate et les agriculteurs productivistes manifestent massivement dans tout le pays. En mars 2023, la contre-attaque se traduit dans les votes et le nouveau parti « mouvement agricole et citoyen » remporte 15 sièges. Ce parti devient ainsi le plus grand parti au sénat néerlandais et bat les partis traditionnels avec à sa tête une ancienne communicante d’un syndicat agricole productiviste.
  • En avril 2023, 5 articles du journal « Le monde » retracent une enquête de 7 ans et plus de 300 interviews sur le modèle agro-alimentaire en Bretagne (Ouest de la France).

On y retrouve les mêmes éléments du discours hégémonique culturel et comme au Pays Bas, le pouvoir des syndicats agricoles productiviste se traduit par une forte présence de ces agriculteurs dans les lieux de décisions : mairies, département, région, conseil d’administration de banques, de mutuelles, d’assurance, dans les chambres d’agriculture, écoles d’agriculture.

Engagements et mandats

Pour développer une autre alimentation, un autre rapport au vivant, nous ne pouvons plus laisser a ces influenceurs le pouvoir, les instances représentatives de nos républiques ne peuvent pas être incarnées par le seul modèle capitaliste et technologique.

Pour cela, nos discours ne suffisent plus, nos plaidoyers ne suffirons pas, nous devons nous doter des moyens nécessaires pour faire campagne, gagner des mandats, siéger là où les décisions sont prises. Aucun de nous n’y arrivera seul, c’est pourquoi mon dernier message consistera à vous inviter à construire les moyens de nos ambitions pour un monde alimentaire plus juste :

  • Être présents dans les lieux de décisions politique et donc pour cela faire campagne pour être élus à des mandats d’élections professionnelles et citoyennes
  • Soutenir financièrement toutes les entreprises qui
    • Travaillent le sol
    • Sélectionnent
    • Produisent
    • Récoltent
    • Transforment
    • Cuisine
    • Servent……

……….. notre premier élément de santé mentale et psychique : l’alimentation

Payons dignement ceux qui s’engagent pour le vivant chaque jour et reprenons le pouvoir sur nos assiettes par les mandats, pas par notre carte bancaire.

Merci beaucoup.

Cliquez ici pour visualiser l’intervention de Xavier Hamon lors du Global Bean Seed Festival (en langue anglaise).

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Découvrir nos recherches-actions menées sur le terrain en France : « Nos campagnes en résilience: Cogitations collectives au cœur de la transition socio-écologique, 2020-2022 ».

 

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